Siffler la récré
Samedi 23 septembre 2017
Je suis de service et décidément jamais je ne me ferai à cette foutue sonnerie d’aéroport. On s’croirait en transit à Chérémétiévo*. Bon, j’entame ma surveillance déambulatoire, verre de café dans la main gauche, l’autre main au bout du bras droit. Véritable tour de contrôle. Sur le tarmac central, les CM imitent Messi ou Neymar en tapant dans un ballon pisseux déchiqueté. Sur la piste en tartan, des CP courent après des CE1 qui poursuivent des CE2, mise en place des cycles oblige. Des fillettes jettent des perles dans l’enfer d’une marelle et un gamin d’ULIS entame son odyssée en Absurdistan. Le café est dégueulasse, du jus de chaussette.
Depuis qu’un môme a fracassé la verrière de la pistoche avec un gadin deux fois plus gros qu’un pavé soixante-huitard, en se prenant pour une lanceuse de poids native de Dresde et depuis que la hiérarchie est passée au dernier conseil d’école en brandissant les textes officiels et en insistant sur le fait « qu’on l’avait échappé belle », on ne laisse plus rien au hasard. Finies les causeries au coin du banc, finis les binômes ou les trinômes à oeillères.
Sous le dernier pin parasol tout au fond de la cour, une scène attire alors mon attention : deux garçons ont tracé à la craie, sur le bitume, la carte du monde et ils commencent à s’envoyer des noms d’oiseaux pas que migrateurs. Y’a un blond jaune comme les blés de CM2 et un petit asiatique râblé et oblong d’une autre classe de CM2. « Et moi, j’vais t’exploser ta mère et détruire ton pays !», « Essaye et j’t’envoie un missile dans la gueule qu’on saura plus qui t’es ! ». Et d’un coup, v’là le blond jaune qui gribouille un bout du pays de l’autre avec une grosse craie bleue. Réplique immédiate du petit rablé et oblongue qui hachure le territoire du bon Aryen avec un bâton rouge . Leurs vociférations et leur ballet attirent d’autres enfants qui choisissent leur camp en annexant d’autres pays. Un attroupement se crée. Un truc de fous.
Vigipirate !
Je fouille dans ma poche droite pour extraire un sifflet chromé et d’un coup sec -fruit de vingt ans de pratique-, je sidère les belligérants avant que cela ne dégénère en un tsunami de coups de pied dans les frontières ou de crachats dans les espaces aériens. Je cours. Le café gicle sur ma chemise CK. Je m’interpose tel un soldat de l’ONU. « Que se passe t-il ? Technique du message clair.
– Rien, m’sieur. Donald et moi, on joue au Risk » me rétorque de sa voix de civette, le petit Kim.
Zirteq
* aéroport moscovite