Méfions-nous de nos voisins même s’il faut éviter les généralités
Dimanche 6 Septembre 2020
J’habite et travaille à Contigny-lès-Mormeilles, dans le Val d’Oise. 22000 âmes peuplent cette commune traversée par l’A15, la D392 et surtout la D14 qui sillonne une énorme zone commerciale.
Je suis résident du quartier de la Croix blanche (une maison en meulière typique du style « Art Nouveau ») depuis près de quarante ans. Chaque jour de mes semaines à quatre, je me rends d’un pas quiet à l’école Emile Glay.
Emile Glay fut instituteur et fonda le Syndicat National des Instituteurs-Cgt. Il fut aussi, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement.
Je m’appelle Jean-François Glay, je suis le directeur de cette école primaire de 287 enfants et je sais que feu mon grand-père doit sacrément se retourner dans sa tombe quand lui parviennent les échos de ce qu’une autre habitante de la ville, députée de la 3ème circonscription du Val d’Oise, révélée « Marcheuse » par la grâce jupitérienne, souhaite modifier dans la fonction de directeur-trice d’école.
Cette ancienne professeur d’EPS puis principale adjointe d’un collège dans le 9.3 fut une militante associative en tant que parent d’élèves, entraîneuse au sein d’un club de gymnastique . Sa progéniture ne fut pas scolarisée à Emile Glay. Le regretté-je ? Non, car cette obsédée de la hiérarchie, fidèle collaboratrice de l’actuel sinistre de l’éducation, lequel déploie sa vision ultralibérale dans le landerneau enseignant depuis belle lurette, est … ma voisine.
Miraculeusement, nous n’avons pas partagé une quelconque « Fête des voisins » ni un furtif apéro à l’intersection de nos jardins respectifs, voire même un salut devant nos boîtes aux lettres rouillées, rencontres fortuites qui m’auraient fortement désobligé.
Ce qui nous relie, si je peux dire, c’est cette foutue proposition de loi sur les directeurs-trices d’école qu’elle a déposée et qui a été adoptée en juin dernier. Adoptée parce que sciemment vidée de ses principaux points pour que tout soit remis –in fine- dans les mains du pouvoir réglementaire du sinistre M. B, de Limoux.
Escamotée la négociation avec la profession et le débat parlementaire ! La toute puissance ministérielle est imposée et ce, en période de fin d’année déconfinée dans les écoles de France et de Navarre. Elle a bon dos la pandémie. Le pouvoir avance souvent masqué.
La proposition de loi initiale envisageait de modifier la fonction de directeur d’école, sans changer le statut afin d’asseoir autorité et nouvelles responsabilités avec pour deal, un meilleur système de décharges et une meilleure rémunération.
Rappel, après un rapport remis en 2018 sur les directeurs d’école, l’amendement de l’époque de ma riveraine proposait de confier la direction d’école au chef d’établissement du collège du secteur. Brillant échec.
Mais ma voisine est du style pugnace. Sitôt rangé le statut des directeurs-trices dans l’appentis grenellien des milliers de circulaires mort-nées, voilà t’i pas que sort du chapeau « l’emploi fonctionnel ». En clair, le-la directeur-trice deviendrait le supérieur hiérarchique des enseignants-es ayant délégation d’autorité du Dasen.
L’attachement atavique au modèle hiérarchique et à l’Ordre de la majorité est décidément indécrottable.
Le 24 juin dernier, cette proposition de loi sur les directeurs d’école déposée a donc été adoptée mais : exit « l’emploi fonctionnel de direction », exit « les décharges et rémunérations promises, les veaux, vaches, cochons, couvées ».
Depuis ma prise de fonction, il y a déjà un bout de temps, j’ai toujours connu, apprécié et nourri au lait de l’émancipation et de la coopération, le modèle actuel d’écoles qui s’administrent elles mêmes sous l’autorité d’un IEN. S’il faut, c’est évident, abonder les décharges de direction et je pense principalement aux petites qui doivent aussi bénéficier d’un quart de temps déchargé, je pense que les directeurs-trices ont surtout besoin d’humain, d’aides, de postes d’administratifs qui -il n’y pas si longtemps- les assistaient dans la vie quotidienne. Postes qui ont été supprimés par …le gouvernement actuel.
Dans son omnipotence, le sinistre veut « simplifier les processus de décision » pour mieux contrôler ses ouailles via les directeurs-trices. Et le ministère d’introduire dans une énième circulaire, la réunion d’un groupe de travail sur « la délégation de compétences » des inspecteurs vers les directeurs-trices. Cela veut dire que dans les compétences définies dans la délégation ils-elles auront la même autorité que l’IEN. Ce qui en fait, de facto, un-e supérieur-e hiérarchique. Pas de précisions sur le contenu de la délégation qui sera fixé par des instructions ministérielles et pourrait concerner… l’évaluation des professeurs des écoles.
Statut, emploi fonctionnel, délégation de compétences = la sainte trinité de la mise au pas.
Si la circulaire publiée au BO du 27 août n’introduit pas encore ce système, elle en pose la première marche, promettant deux jours de formation par an aux directeurs-trices et annonçant une discussion dans un groupe de travail sur » les critères d’attribution des décharges : si, aujourd’hui, celles-ci sont calculées sur le fondement de la taille de l’école (nombre de classes), à compter de la rentrée 2021, d’autres critères permettront de tenir compte de la complexité des situations locales ». C’est-à-dire ?
Seuls points concrets, la circulaire donne aux directeurs » la pleine responsabilité de la programmation et de la mise en oeuvre des 108 heures dans le respect de la répartition réglementaire » et le sinistère de promettre la publication d’un calendrier national des enquêtes administratives et d’améliorer les outils numériques, comme Onde.
Concernant l’aide administrative , le nombre de jeunes en service civique dans les écoles passera de 10 000 à 12 500, ce qui fait peu pour 50 000 écoles. Et les directeurs pourront compter sur une partie des 900 étudiants en pré professionnalisation.
Le sinistre manie depuis longtemps la carotte et le bâton, la COM et le flou mais ce qui est certain c’est que cette circulaire indique que la normalisation des écoles sur le modèle du 2nd degré est en marche, alors même que les enseignants-es n’en veulent pas.
Je viens de boucler ma trente-troisième pré-rentrée en tant que directeur et sur le chemin qui mène à mon bercail tandis qu’il bruine sur Contigny-lès-Mormeilles, je ressasse tout cela. Un chien aboie, un camping-car s’éloigne. Arrivé devant ma boîte aux lettres rouillée, je lève les yeux vers la maison en meulière de ma voisine. Quelque chose attire mon attention. Un panneau « à vendre » accroché de guingois sur une persienne.
Je rentre chez moi, me sers un kir royal et savoure « Having a party » de Sam Cook.
Zirteq