Veni, vini, non vaccini
La chronique de Zirteq
Une voix lança avant-hier matin, à l’heure des photocopies matutinales :
« C’est bon, on va être vacciné ! Résident de la République l’a dit et sinistre de l’Instruction l’a confirmé !
– Tu béaifèmes trop, toi ! Rétorqua une autre voix.
– NAN, on est ENFIN devenus-es prioritaires !
– Attention Zacron 1er a dit que c’est prévu pour avril, ajouta une troisième voix.
– Tout ça c’est des conneries, encore des zannonces-chloroformes, beugla la voix du délégué du SNIF (Syndicat National des Instituteurs Français), prioritaire dans le 1er degré.
A ma stupéfaction, j’entendis les collègues sortir de leur classe, chose qu’ils ne faisaient plus depuis belle lurette, because tous les « Jacadi », tous les mantras de ceux d’en haut comme quoi « faut éviter les regroupements, les brassages et tout le toutim et à pas plus de six».
Alors, moi aussi, je pointai le bout de mon nez hors de mon bureau/bulle/bunker et je les regardai, qui une tasse, qui un cahier à spirales, qui une affiche à la main, rejoindre le hall d’entrée de l’école et commenter l’actualité. Et ce hall redevînt mini-agora, naturellement, alors que depuis des semaines, chacun-e essayait de respecter cette foutue distanciation sociale, restait le plus possible dans sa salle de classe avec comme horizon, le papier bleuté des masques chirurgicaux, comme territoire le lino désinfecté à je ne sais quel produit, comme oxygène, l’hybride entre l’air de la rue et les effluves du gel hydro-alcoolique.
Et je me pris à sourire, tellement ça me faisait un putain de bien fou.
Depuis des semaines, les zannonces gouvernementales s’empilaient tous les jeudis vers 18 heures, et nous, citoyens-nes dociles, on s’empalait dessus, on ne réagissait plus tant les démonstrations, les déclarations des zexperts d’un conseil scientifique d’opérette, tant les mensonges des gouvernants-sachants qui défilaient au pas cadencé derrière un micro, nous lobotomisaient.
Gestes-barrières, non brassages, circuits de circulation, pause-déjeuner, pause-café étaient devenus synonymes d’anonymat. L’équipe, sans que celles et ceux qui la composent depuis des années ne s’en aperçoivent, se diluait, perdait sa consistance, sa cohésion, son esprit. Chacun respectant scrupuleusement les chemins tracés sur les carreaux de plâtres, dans les escaliers, sur le bitume gondolé de la cour d’école ; chaque classe entrant dans sa bulle, dans sa zone, dans sa cloche, faisait que plus personne ne se croisait. Les vraies lignes de vie avaient disparu. On nous avait vendu de l’inessentiel.
Les relations, interactions, liens sociaux se dé-tissaient, s’effilochaient. Les formations, les conseils via ZOOM, congelaient les connivences, interdisaient toutes disruptions, toutes déconnades. C’est à peine si on se chuchotait « Bonjour, ça va, salut, comment vont les gosses ». Et ça, ça me foutait le bourdon, ça me désorientait.
Mais ça c’était avant cette réunion informelle dans le hall, cette reprise de sociabilité. J’avais regagné alors mon bureau et je me suis rassis comme toujours à 8H07, devant cet écran lui aussi bleuté qui m’envoie quotidiennement les bonnes paroles de l’administration et les pubs criardes pour des produits « Covid » (spay anti-buée pour lunettes, masques bio, collecteurs de postillons spécial « coude », gomme salivaire…).
Quand je lus THE NIOUZE. THE SCOOP.
Comme un ouragan, je jaillis de mon bureau et tonitruai aux collègues qui venaient juste de se rendre compte qu’ils se parlaient sans masques :
« Premier sinistre a choisi notre école pour lancer la campagne de vaccination des profs !
– Arrête tes conneries, c’est pas drôle, juste au moment où on commençait à se reparler !
– On va lui planter un comité d’accueil bien salé, beugla dans mes oreilles le « SNIFIEN » !
– Et c’est quand qui débarque ? s’inquiéta la troisième voix.
– le 1er avril. Et c’est pas un poisson, l’IEN vient de m’envoyer un mél. « C’est écrit » comme dirait Francis Cabrel. »
Les collègues reculèrent de deux mètres, remirent leur masque, se turent. Nous avions trois jours pour tout préparer, pour tout régler. Je décrétai un conseil des maîtres-ses le jour même en présentiel, dans l’amphi de la cour, même si les pollens volatiles allaient renforcer nos allergies diverses et variées. L’équipe accepta en se serrant les coudes.
Bien sûr, notre hiérarchie cadra l’évènement avec moults précautions et protocoles. Un périmètre de sécurité fut délimité par la Préfecture, des tireurs d’élite furent placés sur les marronniers alentours, les personnels et autres parents délégués furent briffés, les zenfants peignés, doté d’un mini drapeau patriotique sponsorisé par un labo pharmaceutique, les médias louèrent des balcons donnant sur l’intérieur de l’école. La guerre un 1er avril quoi.
Le jour J, Premier sinistre, Sinistres de l’Instruction, de la Santé, de l’Intérieur arrivèrent en « covidmobiles » devant l’école, s’engouffrèrent dans le couloir de plexiglas qui menait jusque dans le cour où était dressé un podium. Nous, nous étions en rang d’oignons à attendre qu’on ne nous serre pas la paluche, qu’on nous envoie des fleurs d’opérette, que chacun des sinistres fasse sa COM sur notre dos.
Quand Premier Sinistre atteignit le podium, qu’il ajusta le micro, qu’il enleva d’un geste automatisé son masque patriotique, qu’il remit ses lunettes sans les chercher sur son front, tout le monde retint son souffle. L’air grave, il annonça alors le report du début du déclenchement du lancement de la campagne de vaccination de l’ensemble des professeurs de Dunkerque à Tamanrasset pour cause…de Covid.
On entendait des postillons voleter dans les micro-fibres des masques. Un variant passa.
En fait, Premier sinistre annonça que « Dès le lendemain, au vu de la nouvelle vague, de la nouvelle épidémie, du croisement de nouveaux variants dans l’organisme d’un pangolin migrateur arrivé clandestinement de Chine dans un porte-conteneur d’abord bloqué dans le canal de Suez, Résident de la République avait décidé – lors d’un conseil de Défonce – tenu la nuit même, d’un reconfinement intégral du « cher pays de notre enfance » jusqu’à une nouvelle prise de parole qui ne saurait tarder car il ne faudrait surtout pas désespérer Billancourt. »
Aussitôt venus, aussitôt dit, aussitôt partis. En deux coups de seringues à pots, l’affaire fut pliée.
Rassurez-vous, chers lecteurs, ce récit relève de la fiction puisque quand vous le lirez, nous ne serons pas zencore le 1er avril sus-mentionné. D’ici-là, il nous faudra régler les fermetures de classe en cas de Covid d’un enfant avec effet rétroactif du week-end ou pas, il nous faudra régler l’équation de l’absence d’un-e collègue et donc de la répartition ou pas de ses élèves. Et tout le toutim. Mais tout ça, on connaît, vaccinés-es que nous sommes.
Me montent alors dans les trompes d’Eustaches les douces paroles de tonton Francis dont le vinyle tourne sur mon électrophone Philips orange depuis là où je vous cause:
« Elle te fera changer la course des nuages
Balayer tes projets, vieillir bien avant l’âge
Tu la perdras cent fois dans les vapeurs des ports
C’est écrit
Elle rentrera blessée dans les parfums d’un autre
Tu t’entendras hurler « que les diables l’emportent »
Elle voudra que tu pardonnes, et tu pardonneras
C’est écrit
Elle n’en sort plus de ta mémoire
Ni la nuit, ni le jour
Elle danse derrière les brouillards
Et toi, tu cherches et tu cours
Tu prieras jusqu’aux heures où personne n’écoute
Tu videras tous les bars qu’elle mettra sur ta route
T’en passeras des nuits à regarder dehors
C’est écrit
[…]
Heureusement qu’il ne parlait pas de la Pandémie.
Je vous souhaite un 1er avril plein de connivences, de liens amicaux, de déconnades et de romantisme.
Zirteq, 94ème jour