Tribune.
L’École publique en 2025 : une destruction organisée.
- Les réformes que mettent en place les gouvernements depuis 2017 traduisent une vision pernicieuse de l’École. Tant qu’on fera abstraction du plaisir, indispensable à l’acte d’apprendre, on laissera sur le bas-côté des autoroutes du savoir toutes et tous les élèves « insoumis·es » – et/ou qui ne correspondent pas au profil-type de l’élève moyen – dont le moteur est le plaisir et dont on sait depuis longtemps qu’iels ne savent apprendre que par des cheminements qui serpentent souvent loin des méthodes officielles. Dans le jargon de l’Éducation nationale, ce sont les élèves à besoins éducatifs particuliers, qu’on réduit même à ÉBEP…
- Quant aux autres, les « dociles », on en fera de petits singes savants pour qui le savoir ne fait pas sens mais s’acquiert mécaniquement. Pour elles et eux, il restera presque impossible de réinvestir dans d’autres champs que ceux auxquels on les prédestine en fonction des besoins économiques leurs compétences acquises mais saucissonnées, segmentées. Mortifères sont la perception, la sensation et l’apprentissage du monde réduites à des unités de décomposition du langage oral et écrit, qu’il s’agisse du français, des mathématiques, des sciences, de l’Histoire, ou même de l’EPS, etc.
- L’École publique macron-compatible et qui dépasse assez largement la frontière du « centre » sur l’échiquier politique correspond à celle qui suffit aux besoins d’une société dans laquelle la recherche du profit est la finalité. Elle prône l’obéissance à un système bien huilé de reproduction sociale dont on se défend pour la forme en posant sur un piédestal quelques exceptions : les fameuses et fameux « self made wo·men » – plutôt men, d’ailleurs – tellement rares qu’on leur dédie de temps à autres des reportages, lesquels, par leur existence-même, consacrent une École incapable de favoriser la mobilité sociale, donc comme étant un service public inefficient et coûteux. Notons que bon nombre de celles et ceux qui font ce reproche n’ont rien à gagner et ne veulent pas d’une école qui permettraient aux élèves d’échapper au déterminisme social. La réforme Attal du collège et de ses groupes de niveau – et quel que soit leur nom – le prouve : elle renforce précocement, dès la fin du CM2, le tri des élèves selon leur origine sociale.
- Cette École voulue par celles et ceux qui se partagent le pouvoir depuis des décennies est celle de la compétition, la fameuse élite « républicaine » surtout bourgeoise, prête à pactiser avec les politiques les plus réactionnaires, autoritaires voire fascistes plutôt qu’à accepter la défaite électorale, est celle de l’évaluation à tout crin, de la compétition, de la reproduction de masse de la pauvreté économique, sociale, culturelle. Cette évaluation permanente produit une pression sur les élèves, de l’école primaire au lycée, elle aussi constante. C’est ce qu’on a pu observer depuis la réforme Blanquer du baccalauréat chez les élèves de première et de terminale1. La part croissante du contrôle continu pour l’obtention du diplôme renforce le stress des élèves qui se retrouvent en permanence en situation d’évaluation.
- Les élèves les plus fragiles, celles et ceux pour qui l’École ne fait pas sens, qui ne bénéficient pas, en dehors du « lieu école », de conditions satisfaisantes pour étudier, qui doivent surmonter des troubles des apprentissages, des handicaps, des difficultés familiales et sociales, sont les premières victimes de maltraitance institutionnelle. L’uniformisation de l’École – à tous les sens du terme – et ses programmes réactionnaires, la discipline d’un autre temps qui semble faire l’unanimité du centre à l’extrême-droite ne peut qu’empêcher ces enfants d’accéder aux savoirs. Une telle École avec ses programmes rigides et son entrée unique imposée dans l’accès aux apprentissages mène à leur perte les élèves qui subissent la pauvreté et/ou qui ne sont pas conformes à la norme comportementale attendue2. Or leur nombre ne cesse de croitre à l’école publique, tandis que l’école privée sélectionne ses élèves : elle ne remplit absolument pas de mission de service public tout en se gavant de fonds publics – mais c’est une pratique bien connue désormais du capitalisme et du secteur privé, en particulier des grandes entreprises, qui accaparent les aides de l’État et des collectivités territoriales tout en rechignant à payer l’impôt et utilisant ces ressources à d’autres fins que celles pour lesquelles elles leur ont été attribuées : augmenter leurs profits et engraisser les actionnaires.
- L’école du « choc des savoirs » voulue par Macron et appliquée par Attal et les ministres qui lui ont succédé à un rythme effréné ne cherche à aucun moment la transformation sociale. Elle maintient le peuple comme proie facile pour tous les obscurantismes et le patronat. Ceux-là visent le même objectif : un ordre immuable, qui assied sa domination économique et spirituelle, qui combat toute remise en cause de son hégémonie. Finalement, on retrouve au premier quart du 21e siècle une classification patriarcale en « ordres », très proche de ce qu’elle était avant la Révolution de 1789 :
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celles et ceux qui détiennent les richesses et ne veulent pas céder le moindre millionième de leur fortune tirée de l’héritage et de l’exploitation du travail de la masse – iels ne « combattent » plus mais allument les feux et se servent des guerres où d’autres se sacrifient pour accroître leurs richesses,
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celles et ceux qui « prient » ou se servent des médias possédés par des milliardaires pour diffuser en continu leur propagande, conditionnent les esprits pour éteindre toute rébellion et toute émancipation culturelle
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le peuple qui continue à se laisser formater pour ne pas laisser germer la moindre velléité d’insoumission au système ; il est exploité économiquement et spirituellement, et succombe en grande partie aux antiennes médiatiques et celles de l’extrême-droite, loin de la sorofraternité qui devrait le cimenter : il faut chercher des responsables à son malheur, et, comme on l’a récemment entendu après le passage dévastateur de Chido à Mayotte, le migrant·e est idéale coupable.
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- Les deux premières « classes », qui font souvent mine de se combattre, sont finalement alliées, toutes deux visent le même asservissement à un ordre établi. Elles n’ont pas besoin d’une École coûteuse pour diriger les esprits et inculquer les savoirs « essentiels » à l’ordre économique. Elles n’ont pas besoin d’enseignant·es qui feraient de la pédagogie un objet de recherche. Il suffit de disposer d’enseignant·es déqualifiées mais dociles, qui reproduiront sans esprit critique des méthodes imposées et ne sortiront pas du balisage des « guides du maitre ou de la maitresse ». Il est nécessaire pour cela d’encadrer de façon très systématique la « liberté » pédagogique et les pratiques innovantes, en gros tout ce qui vise l’émancipation au sens où l’entendaient les mouvements d’éducation populaire. Il faut également empêcher pour les enseignant·es toute possibilité de prendre du recul. Ce qui reste de la formation mise en œuvre depuis les années Blanquer a été conçu dans ce but. Y est prêchée la bonne parole ministérielle, avec mise en pratique encadrée dans les classes. On est passé en une quarantaine d’année de formation à information puis à formatage.
- Il n’est donc pas étonnant que de 2002, certains mouvements pédagogiques et coopératifs (GFEN3, ICEM4-Pédagogie Freinet…) se voient retirer peu à peu leurs moyens de subsistance5. L’École a pourtant besoin des mouvements qui prônent une autre École et des voies diversifiées d’entrée dans les apprentissages prenant en compte les besoins de tous les enfants – ce qu’on appelle pédagogie… – reposant non pas sur la compétition et l’uniformisation, mais sur la coopération, la solidarité, la sorofraternité, les valeurs qui devraient irriguer l’École, l’accès à la richesse et à la variété culturelle de notre pays. Mais l’École du 21e siècle prônée par les deux premières « classes » précitées ne veut plus en entendre parler. Ils sont en effet incompatibles avec la vision d’une École soumise aux intérêts d’un petit nombre de privilégié·es cherchant à accroître leur maîtrise de tous les rouages du système qui permet la reproduction de leur domination et leur accaparement des richesses. Non seulement ces mouvements d’éducation populaire ne sont d’aucune utilité à la politique scolaire mise en œuvre aujourd’hui, mais ils menacent les fondements de la mise au pas des enseignant·es.
- Il est donc nécessaire et urgent de réunir toutes les forces populaires dans un projet de société global dans lequel l’École fait sens, pour ses enseignant·es et ses élèves et assume sa responsabilité de service public en charge de fournir à toutes et à tous un enseignement de qualité, émancipateur et respectueux de l’Enfant. Il faut que ce projet s’engage, entre autres, à rendre la parole et leur liberté d’action aux mouvements d’éducation populaire et ne s’aliène pas, dans une forme de double-discours pervers, au tout-évaluation des organismes de doctrine libérale tels que l’OCDE (avec PISA) ou l’IEA (avec TIMMS)6… dont on sait depuis longtemps qui les finance et ce que sous-tendent leurs analyses et leurs préconisations.
- Les repères revendicatifs de la Cgt Éduc’action7 constituent un projet pour l’École d’aujourd’hui et demain. Notre organisation syndicale est prête à participer et défendre ses valeurs dans le cadre d’une réflexion commune à tous les mouvements progressistes. Avec ses syndiqué·es, elle s’engage et soutient, y compris financièrement, les mouvements qui risquent de ne plus pouvoir assumer leur rôle salvateur auprès d’une École publique à l’abandon.
HB
Janvier 2025
1 https://www.20minutes.fr/societe/4012570-20221213-lycee-pourquoi-reforme-bac-renforce-pression-notes
2 https://www.humanite.fr/en-debat/atd-quart-monde/regis-felix-la-pedagogie-dominante-mene-a-lexclusion-de-nombre-denfants
3 GFEN : Groupe français d’éducation nouvelle ; https://gfen.asso.fr/
4 ICEM : Institut Coopération de l’École Moderne ; https://www.icem-pedagogie-freinet.org/
5 Un exemple avec l’ICEM-Pédagogie Freinet : https://www.humanite.fr/-/-/freinet-vivant-et-menace (2002-2007) ; https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/35814 (2013) ; https://www.senat.fr/questions/base/2020/qSEQ201017998.html (2020); https://www.cgteduc06.fr/licem-a-besoin-de-vous/ (2024)
6 OCDE : Organisation for Economic Co-operation and Development ; PISA : Program for International Student Assessment ; IEA : Association internationale pour l’évaluation de l’efficacité dans le domaine scolaire ; TIMSS : Trends International in Mathematics and Science Study