Tribune.
Le Printemps des poètes : fête populaire ou banalisation élitiste des idées de l’extrême-droite ?
« La poésie (…) est transmission vivante, ouverture d’esprit, partage et fraternité. Travail conscient de la langue, quête du mystère dans les mots, elle est par essence un legs et l’adresse d’une génération à une autre, une victoire de l’humanité sur le néant qui couche les générations mais n’éteint pas la parole. »
Christian Cardon
in Les échos de Maurin des Maures, n°7, juin 2012
L’écrivain Sylvain Tesson, bien que flirtant allègrement avec l’extrême-droite et ses idées, serait le parrain du Printemps des Poètes 2024. Ce rendez-vous annuel est censé promouvoir la poésie, de l’école primaire à l’université, en passant, entre autres, par les bibliothèques.
Je ne suis rien pour suggérer qu’il soit ou ne soit pas un grand écrivain. Ni pour lui reprocher de n’écrire des poèmes qu’en dilettante. Ce n’est pas l’objet ici. Ce qui interpelle, c’est le choix des organisateur·trices d’un évènement attendu dans les écoles, par toutes les passeuses et passeurs de poésie, par celles et ceux qui dépensent au quotidien une folle énergie à animer des ateliers, créer, diffuser la poésie, de nommer porte-bannière une personne qui se singularise par des ami·es aux idées qu’il serait insupportable de sortir de la bouche d’un·e enseignant·e.
Nous ne pouvons, nous ne devons laisser se banaliser, en particulier auprès de la jeunesse, les opinions nauséabondes qui franchissent d’ailleurs souvent la frontière du délit. Ce devrait être une évidence, mais les médias « dominants » jouent un jeu extrêmement dangereux, et cela ne date pas d’aujourd’hui. Depuis 2017, le « barrage » contre l’abjection des Le Pen, Zemmour et autres s’est révélé être une passoire. Il y a quelques jours, pour justifier ses choix douteux, le président ne reprenait-il pas lui-même, pour justifier ses choix, une expression aux relents de pétainisme, portée par la droite raciste et l’extrême-droite, « pour que la France reste la France » ?
Or ne pas filtrer à l’École, ne pas lutter contre tout ce qui pourrait présenter sous un angle acceptable le racisme, la xénophobie, le sexisme, les LGBTQI+phobies, le validisme… revient à accepter de fait la possibilité de laisser gouverner notre pays par l’extrême-droite.
Depuis la parution dans Libération d’une tribune demandant à l’organisation du Printemps des Poètes de revenir sur son choix de parrainage, le mépris de classe se diffuse dans un « réarmement de la culture » version haineuse. Les Balkany, Praut, Naulleau, Pécresse, Le Maire, Ciotti, Jamet, le Figaro, Cnews, Le Point, Valeurs Actuelles… étriqué·es dans leur culture petite ou grande bourgeoise, de classe dominante, prennent la défense de l’indéfendable et rejettent toutes celles et tous ceux qui écrivent, enseignent, partagent la poésie contemporaine et leur dénient le droit de se réclamer de la culture. Peu importe – ou parce – qu’il pactise avec ce qu’il est de plus abject, il n’est qu’un « prince des poètes », sans discussion ni remise en cause possibles.
Les signataires de la tribune ne sont, quant à elles et eux, que « médiocres », « nains », « traîne-patins du système, écrivains sans lecteurs, acteurs sans public, créateurs sans talent », « ratés », « branquignoles », « frustrés, « sans talent », « censeurs », « jaloux », « précieuses ridicules », « pseudo-pléiade de 600 poètes autoproclamés et inconnus » « pouilleux », « cultureux », « cafards », « minables », « obscurs plumitifs », « terroristes », « condensé de wokisme crasse », « armée d’infirmes du verbe, condamnés à l’ombre par leur médiocrité« , « tout petits plumitifs du niveau de minables gardes rouges et dénonciateurs des bas-fonds », « mécréants désacralisés islamo-gauchistes » et j’en passe. Ce florilège, incroyable et minable déchainement de haine, un peu semblable à celui qui dénonçait il y a quelques semaines les signataires d’une contre-tribune en réponse à celle appelant à la défense de Gérard Depardieu, justifierait presque, à lui seul, l’existence de la tribune contre le parrainage du Printemps des Poètes par Sylvain Tesson.
Pourtant, quand on sort des salons, de l’entre-soi littéraire et médiatique, ce sont bien les créatrices et créateurs contemporain·es qui rendent vivante au quotidien la poésie dans les écoles, les bibliothèques, les centres culturels, sur les réseaux sociaux, dans les bars, dans la rue… et peuvent amener la jeunesse à apprécier les « grand·es » auteur·es des siècles passés.
Alors, agissons pour une culture humaniste, féministe, anti-colonialiste, inclusive,
HB 20 janvier 2024