Tribune: de l’orthodoxie budgétaire
Vous pouviez librement couvrir de boue le chef de l’État et ses ministres, nier effrontément nos engagements internationaux les plus évidents, désavouer le gouvernement de votre pays en pleine négociation diplomatique, donner tort à la France devant l’étranger. Bravo ! C’était de bonne guerre… Mais il vous était défendu de critiquer la mystique de l’équilibre budgétaire, sous peine d’être considéré comme un traître et accusé de provoquer des catastrophes. Une puissante cohorte veillait jalousement sur le respect de la sainte orthodoxie : au premier rang, se distinguaient la presse et ses chroniqueurs spécialisés, les économistes, les banquiers, les partis conservateurs. Mais, derrière ces troupes de choc, se dessinait toujours la toute-puissante inspection des Finances. (Emmanuel MACRON est inspecteur des Finances)
Le premier résultat de cet état de choses a été la paralysie gouvernementale. Par crainte de compromettre l’équilibre budgétaire – cet idéal constamment entrevu, jamais atteint, il était devenu impossible de réaliser la moindre réforme, de faire aboutir la plus petite innovation. Devant tout projet, se dressait comme un mur le « non possumus » du directeur du Budget, retranché rue de Rivoli dans son blockhaus de papier, armé de ses additions et de ses statistiques. Chaque fois que vous abordiez le ministre des Finances, quel qu’il fût, et que vous lui demandiez le petit crédit nécessaire à une grande réforme, il vous renvoyait à son directeur du Budget. Celui-ci, souriant et déférent, vous démontrait que votre requête eût entraîné par analogie d’autres dépenses, qu’elle était grosse de dilapidations futures, que « la situation financière ne le permettait malheureusement pas ». Et c’en était fini… À moins d’engager bataille devant le Conseil des ministres ou le Parlement, de fournir un effort exceptionnel, qui vous laissait épuisé, Incapable de recommencer avant longtemps.
Ce texte date du 9 janvier 1941. Son auteur Jean ZAY (Ministre de l’Éducation Nationale du Front Populaire et des gouvernements suivants du 4 juin 1936 au 10 septembre 1939, moment où il démissionne pour pouvoir se battre en rejoignant l’armée) écrit de sa prison, dans laquelle il sera assassiné par les milices d’extrême droite en 1944.
Il attribue une part importante de la responsabilité de la défaite de 1940 à l’orthodoxie budgétaire.
Est-ce que l’histoire va se répéter avec cette fois la défaite écologique et environnementale?
Extrait de « Souvenirs et solitude » Jean ZAY page 56 Édition ALPHA collection Histoire
JPM