Tribune
Stéréotypes sexistes intériorisés :
les reconnaître pour les déconstruire
Nous sommes d’accord pour dire que nous vivons dans une société patriarcale, avec un sexisme systémique et une violence genrée. La liste des féminicides est malheureusement toujours là pour nous le rappeler. Aujourd’hui, cependant, je ne vais pas parler du sexisme des hommes envers les femmes. Cela est établi, et je ne me priverai pas de le nommer ni le combattre, certainement dans d’autres chroniques à venir !
Aujourd’hui, je m’adresse à mon institution, et à mes camarades et collègues femmes, ou identifiées comme telles. Je vais parler du sexisme intériorisé, moins connu, mais qui lui aussi sévit dans nos vies et nos pratiques professionnelles.
84,8 % des enseignant·es du 1er degré sont des femmes
Alors, pourquoi donc n’avons-nous pas toutes ensemble éradiqué le patriarcat, les chaussettes-claquettes, et les stylos kawaï de 5 cm de diamètre avec une gomme qui fait tout baver ? Comment expliquer qu’une profession très majoritairement féminine (ça fonctionne aussi dans le second degré) reproduise et produise encore du sexisme dans l’éducation ?
Parce que, qu’on le veuille ou non, nous avons des stéréotypes et nous souffrons toustes d’un sexisme intériorisé. “Pas du tout, je ne suis pas sexiste, je suis une femme, mon mari m’aide et en EPS je fais des équipes mixtes !”
Nous avons tous et toutes, quelque part en nous, un idéal de “la Femme parfaite” : blanche, cis*, hétéro, valide, bonne épouse, bonne mère, bonne amante mais pas dévergondée, mince, dynamique, pas trop bruyante mais drôle, pas trop sage mais malicieuse, obéissante mais quand même un peu rebelle parfois, éduquée, sociable mais qui ne prend pas trop de place. Elle préfère lire des romans parce que les documentaires, c’est trop scientifique et qu’elle, elle est littéraire (cf King Kong Théorie, Virginie Despentes).
Cet idéal, martelé depuis notre enfance et au-delà, est bien ancré dans notre cerveau. L’effet qu’il a sur les femmes : culpabilisant, puisqu’on ne sera jamais à la hauteur (de quoi, de qui, de ce personnage qui n’existe pas ?), anxiogène (si évidemment, nous ne sommes pas blanches, cis*, hétéro, valide etc).
Et ce n’est pas parce qu’on a obtenu un CRPE que nous avons miraculeusement perdu tout stéréotype de genre par l’effet vertueux de l’application du programme “Egalité filles-garçons”. Enfin, nous deviendrions, drapées de nos badges de compétences apprenantes, des sauveteuses de l’humanité face au sexisme, au racisme et à toutes les autres discriminations ! Si on pense cela, c’est qu’il reste encore en nous un peu d’universalisme chrétien bien-pensant, lavable à 90°, plus blanc que blanc.
Avons-nous déjà comptabilisé notre répartition de la parole en classe ? Sur quelle matière ? Questions ouvertes ou fermées ? Connaissons-nous la différence entre sexualité et reproduction ? Disons-nous souvent “les filles”, “les garçons”, au lieu de parler à des individus qui ont des prénoms ? Quels adjectifs utilisons-nous dans nos LSU* ? Les filles sont-elles “sages” et les garçons “curieux de savoir” ou “dynamiques” ?
Avons-nous déjà observé et analysé les jeux et positionnement filles/garçons dans la cour ? La violence et les gros mots, est ce que c’est vraiment moins “beau” chez les filles et en filigrane plus acceptable pour les garçons ? Avons-nous déjà pensé que les garçons avaient davantage besoin “de se défouler” que les filles ? Dans tout cela, il n’y a aucune justification biologique. Seulement des habitudes et stéréotypes qui perdurent depuis des générations.
Oui, mais comment faire pour casser tout ça une bonne fois pour toute ?
Il va falloir commencer par trouver en nous-même ses stéréotypes, et accepter que c’est normal d’en avoir. Ensuite, il nous faudra les affronter, comme une hydre à neuf têtes, et commencer par devenir notre propre héroïne.
C’est un combat qui fait un peu peur, car ne rien changer est souvent plus confortable, à première vue. Cela dit, une chose est certaine : on ne revient plus en arrière quand on a désinstallé l’application “sexiste” de nos connexions synaptiques. La pilule rouge est avalée. La défragmentation peut commencer. De nombreuses études et pratiques pédagogiques ont été publiées et pourront nous aider par la suite à d’abord analyser nos pratiques, puis à modifier quelques détails et voguer sur le fleuve houleux mais chamarré de la déconstruction du sexisme dans l’éducation.
Dans l’EN, le chantier est vaste, et c’est beaucoup demander aux PE que de s’occuper de tout cela sans aucun accompagnement (à part des textes et des magisters…). Il faut une formation continue à la hauteur des enjeux d’un enseignement véritablement émancipateur, qui serait déterminant pour éradiquer les violences sexistes, sexuelles, racistes, et de genre.
En attendant, nous pouvons aussi participer à des stages organisés par la CGT !
Contacter le Secrétariat de la Cgt-Educ’Action 06@cgteduc.fr
*LSU : Livret Scolaire Unique
*cis : le genre ressenti est conforme au genre assigné à la naissance
M.R