38%
De P. Gromann
38%. C’est la proportion d’enseignants qui ont voté pour Macron au premier tour des élections présidentielles de 2017. Regrettent-ils leur choix ? On a quelques raisons de le penser.
Le bilan était rapidement esquissé par le député de Paris et délégué général de La République en Marche Stanislas Guerini, qui était l’invité d’Éric Delvaux et Carine Bécard sur France Inter samedi 05 mars 2022. Il affirmait que le gouvernement avait beaucoup investi dans l’éducation, « notamment dans la petite enfance, mais pas que, l’accompagnement des devoirs faits au collège, la réforme du bac, la réforme de l’orientation professionnelle avec parcours sup ». On parle bien ici de cette orientation post-baccalauréat soumise à l’arbitraire opaque des algorithmes – ou de leurs concepteurs, et de cette « réforme du bac » qualifiée par les enseignants et les usagers d’affaissement, de destruction, en vue d’une disparition programmée (?).
Pour les déçus du quinquennat, Le député LREM proposait – sans préciser si c’est toujours JM Blanquer qui serait aux manettes – « un nouveau pacte avec les professeurs. Ils doivent être remis au centre, respectés, protégés aussi. » Mes oreilles entendaient « blablabla ». Mais il ajoutait vouloir développer « la capacité pour les établissements de pouvoir porter des projets pédagogiques propres. » Cette fois, il avait un exemple concret et reprenait les annonces faites à Marseille et vouloir « avoir une capacité de recrutement des enseignants, de pouvoir faire varier leur rémunération (…) En espérant le généraliser dans tout le pays. » Cette fois, on a de bonnes raisons de s’inquiéter. Il s’agit bien du recrutement des enseignants directement par les directeurs d’école. Ce qui signifie que si ça ne fonctionne pas correctement, c’est à cause des enseignants, puisqu’en les recrutant autrement, on en aurait de meilleurs ou de plus motivés. Pour le respect et la protection, on ira voir ailleurs. Quant à la variation de la rémunération, rappelons qu’en pratique, à budget constant, si vous gagnez 30€ de plus, ils sont pris dans la poche du collègue.
En écoutant l’interview, je n’étais pas très étonné de ce que j’entendais. En lisant entre les lignes, le catéchisme classique : l’individualisation des carrières avec son corollaire, l’atomisation des personnels et la disparition des solidarités collectives.
Mais S. Guerini est un professionnel, il mène ses entretiens en donnant du rythme, en alternant le sombre et le lumineux. C’est ainsi qu’il commençait à nous faire rire un peu. A nous faire marrer carrément en fait : « Et qui dit autonomie, dit évidemment évaluation (…) Je crois effectivement que c’est attendu par les parents, par les élèves et par les enseignants, pour créer peut-être un peu plus de bonheur à l’école. » Je vous invite à écouter l’interview, il l’a vraiment dit. L’autonomie des établissements nécessiterait donc leur évaluation. Ce serait attendu par tou-te-s – même vous, c’est sûr – et le tout dans le but de créer du bonheur. Si on créait les conditions de la réussite du plus grand nombre, je serais déjà content, mais créer du bonheur…
Et le député et délégué général de La République en Marche de conclure sur l’éducation : « Il est important je pense de se redonner les moyens pour que l’école puisse aussi créer du bien-être, créer du bonheur, parce que c’est comme ça, qu’on va bâtir une société de la compétence. C’est la seule voie, je le disais, pour bâtir un modèle efficace dans la mondialisation. » J’ai fini mon p’tit déjeuner en méditant ses paroles. Le projet est donc de terminer le travail de casse du service public et de destruction de nos statuts, d’atomisation des personnels. Malgré l’inflation, le seul moyen d’augmenter nos revenus sera de faire plus d’heures. Une politique finalement extrêmement violente de destruction, maquillée derrière des mots doux. Le respect, la protection, le bien-être, le bonheur. Cela n’est pas nouveau me direz-vous, mais pour 38% des enseignants, ça va peut-être mieux en le disant.