Tribune L’auto évaluation : vous reprendrez bien un peu de travail inutile et supplémentaire ?
Première étape :
Il vous faudra préparer un beau gros document pour les évaluateurs : tout ce qui permet de comprendre votre groupe scolaire : situation géographique, populations, nombre de classes, organisation pédagogique, résultats aux évaluations …. Pour cela, il vous faudra passer quelques mercredis matins avec vos collègues du groupe scolaire. Un document qui ne vous servira absolument à rien puisque vous êtes sur le terrain et connaissez tout cela par cœur. Mais la vingtaine d’heures, c’est bien vous qui les ferez, tous et en bénévoles, car si vous les mettez sur les 108h, alors vous n’aurez plus d’heures pour les familles, les Equipes Educatives …. Bref, pour l’indispensable du métier.
Ajoutons le bonus du sondage pour les parents et les enfants de CM qui pourront ainsi vous juger de manière anonyme sans avoir à argumenter et que les équipes enseignantes devront dépouiller et synthétiser.
Deuxième étape : la rencontre avec les évaluateurs
Ils sont quatre, souriants et bienveillants. La parole est libre. Là, on y croit. Tout au long de la journée, suivant un planning serré, les évaluateurs vont rencontrer tous les acteurs de l’école : les directeurs-trices, les enseignant-es, les atsems pour les maternelles, les responsables mairie, les animateurs péri-scolaires, les parent-es élu-es.
Il n’y a que deux questions, les mêmes pour tous-toutes :
- Quelle sont le ou les points positifs de votre groupe scolaire ?
- A moyens constants, que pourriez-vous améliorer ?
A la première question, un petit catalogue positif fait jour en quelques minutes. Et ? …. De beaux encouragements, tel que nous les formulons pour nos élèves… et pourquoi pas des images ou des bon points ?
A la deuxième question, c’est le silence qui s’installe.
Cette expression nous indique l’intensité du mépris de notre sinistre. Le déni affiché de la réalité, laissant les petites mains que sont les enseignant-es supporter encore et encore la dégradation programmée.
L’expression « à moyens constants » clot le bec de toutes et tous. En fait de moyens constants, on est surtout sur des moyens décroissants : de plus en plus d’enfants avec des troubles de comportements et d’apprentissages, des classes surchargées, un RASED réduit à faire du saupoudrage. Les évaluateurs nous font alors des propositions telles que :
- Pourriez-vous travailler plus souvent par cycle sur le groupe scolaire et non par école ? Ben… on pourrait si on avait plus de temps, mais là ce n’est pas du tout possible.
- Pourriez-vous faire plus de projets par cycle ? là aussi, pour l’instant, nous n’avons vraiment pas assez de temps pour mettre cela en place. On ne travaille pas dans les mêmes bâtiments, cela complique le travail si l’équipe est éparpillée physiquement. Et plus le nombre d’enseignants concernés est important, plus le temps de concertation est long. Actuellement, on est déjà débordé.
- Pourriez-vous améliorer la communication avec les familles ? Ben, on les rencontre, mais c’est vigipirate qui les a mis à la porte des écoles. De ce fait, les familles se sentent bien plus mis à l’écart qu’auparavant. Et on manque de temps pour voir suffisamment chaque famille.
- Accepteriez-vous que quelques parents viennent en classe pour voir comment se passe ? Ben non. Nos portes de classes sont ouvertes, nous n’avons rien à cacher, mais la place des parents n’est pas en classe.
On a beau chercher, le manque de temps et les gros effectifs, l’absence d’un vrai RASED revient encore et encore.
Finalement, constat est fait qu’on ne pourra pas faire grand-chose de mieux dans une situation « à moyens constants ».
C’est alors que l’une des directrices demande : « Le résultat de cette évaluation, que va-t-il devenir ? Est-ce que nos demandes, nos remarques vont remonter ?
Les évaluateurs se regardent, un ange passe, visiblement mal à l’aise.
« Non, c’est une autoévaluation, donc c’est essentiellement pour vous, pour que vous puissiez voir où sont vos points forts et vos difficultés et améliorer l’ensemble, il n’est pas prévu que quoi que ce soit remonte ». Cette fois, l’ange repasse, fait un malaise et trépasse !
Voilà comment une belle idée pédagogique peut être dévoyée en un enfer inutile et absurde. L’école n’est pas une entreprise, elle forme les citoyens de demain, il semble que les enseignant-es sont désormais les seuls à s’en souvenir.
Bienvenue à l’autoévaluation. Je pense intensément à Christine Renon, je relis sa lettre et, je décide de prendre ma retraite.
Bien joué monsieur le sinistre, vous gérez parfaitement le ministère de la dégradation nationale.