Restons ensemble
(version courte … complément sur https://pile06.blogspot.com/2021/12/restons-ensemble.html)
Tribune
Lors de la pandémie, l’État a été confronté à un paradoxe : la subsistance d’une force de travail saine et productive (isoler les personnes contaminées) était incompatible avec la nécessité d’une poursuite ininterrompue de l’exploitation capitaliste (concentrer la main d’œuvre sur les lieux de travail). La contradiction entre un contrôle fort des espaces publics extérieurs et une quasi absence de contrôle dans des lieux de contagion comme les transports illustre l’action paradoxale du gouvernement.
Une interprétation rejetant à la fois les demi-mesures du gouvernement et la pandémie elle-même est alors apparue. L’utilisation de la pandémie par les gouvernements comme excuse pour intensifier l’étreinte autoritaire de la société serait révélatrice du fait qu’il n’y a pas de réelle pandémie. Alternativement, si l’on accepte l’existence du virus, il ne serait dangereux que pour un petit pourcentage déjà vulnérable de la population : la pandémie est réduite à une syndémie. Sur la base de telles approches, rien ne justifie l’imposition de mesures horizontales en-dehors de l’autoritarisme.
De nombreux intérêts individuels ont alimenté de telles prises de position, souvent liées à un camp politique ultra-libéral voire libertarien, que ce soient les signataires de la déclaration du Great Barrington, l’influence de John Ioannidis sur Donald Trump, Boris Johnson ou Jair Bolsonaro, ou encore Didier Raoult en France. En présentant ceux qui ont pris la pandémie au sérieux comme des partisans (volontaires ou dupés) d’un autoritarisme étatique rampant, ils ont permis à l’État de se présenter comme le responsable rationnel luttant pour l’intérêt général contre l’individualisme irrationnel.
Au lieu d’un mouvement luttant contre la gestion capitaliste de la pandémie, celle qui cherche à minimiser les perturbations sur la production économique tout en refusant un accès universel et inconditionnel aux options de protection existantes (des vaccins au retrait rémunéré du travail pour limiter les contaminations), des tendances exigeant le droit de prétendre que le virus n’existe pas au nom de la « Liberté » et de l’autodétermination ont émergé.
Ceux qui s’élèvent contre les restrictions et les conséquences négatives du confinement tout en rejetant la réalité de la pandémie détournent l’attention du fait que la liberté individuelle au sein de la société capitaliste était déjà formelle et limitée. Le choix d’aller travailler chaque matin n’est pas totalement libre et conscient : les gens le font par obligation, pour survivre. Les luttes collectives déterminent la portée dans laquelle cette coercition sera plus ou moins directe et violente.
Ils ont abandonné l’émancipation sociale à travers l’abolition de la société de classes et de la propriété capitaliste. Une défense collective contre le coût humain provoqué par la combinaison d’un virus infectieux et des contradictions capitalistes devient impossible. En fait, ils n’espèrent qu’un retour à la vie avant le coronavirus, cette « normalité » capitaliste préexistante. Il est étonnant de voir que leur réponse à un État tentant de tout réduire à des « responsabilités individuelles » réside dans la liberté individuelle plutôt qu’une lutte collective plaçant nos intérêts au-dessus de ceux de l’économie.
C’est ainsi que la « discipline » est perçue comme une fin en soi. L’idée que les interventions de l’État pourraient aussi servir à maintenir la production capitaliste est totalement ignorée. À la place, nous sommes invités à penser que les autorités publiques et transnationales qui promeuvent des vaccinations soi-disant expérimentales ou dangereuses sont pour une raison quelconque disposées à sacrifier la santé et la vie de milliards de prolétaires (la force de travail) et la marchandise la plus précieuse au profit de l’accumulation capitaliste, afin d’assurer les bénéfices de quelques sociétés pharmaceutiques et de grandes entreprises technologiques.
En réalité, les anti-vaccins permettent à l’État de se présenter comme un représentant responsable et rationnel face à un individualisme irrationnel. Ils renforcent l’acceptabilité de mesures autoritaires, opaques et absurdes. De toutes façons, ils seront désignés comme coupables en cas d’échec des politiques menées.
L’opposition entre obligation vaccinale et liberté individuelle est fausse. Les restrictions imposées aux non-vaccinés sont l’expression de la « séparation » comme l’essence même des individus dans une société capitaliste. L’État impose alors l’unité par la coercition et l’exclusion : il apparaît comme la seule expression de l’intérêt collectif.
L’abolition de cette exclusion nécessite donc la création d’une communauté qui fonctionne grâce à une véritable solidarité et par conséquent la prise en charge de toutes les mesures nécessaires pour contenir la pandémie.
Le « droit de choisir » dans le contexte actuel entraîne des comportements réactionnaires ou individualistes, éclairés par l’ignorance ou pire, par le darwinisme social. La vaccination est un acte évident pour nous protéger : la façon dont l’État l’emploie n’invalide en rien cette réalité. Les anti-vaccins ne sont donc pas des opposants à la gestion de la crise sanitaire par l’État, puisqu’ils l’intensifient de fait.
La meilleure chance d’éviter le retour perpétuel de cette pandémie réside dans l’augmentation du pourcentage de personnes possédant suffisamment d’anticorps pour réduire les dangers du virus, et les vaccins sont un outil essentiel.
Résister à des mesures de précaution efficaces contre un virus aéroporté au nom d’une conceptualisation de la liberté qui exclut de manière préventive les catégories vulnérables (c’est-à-dire prolétariennes) ne peut être le terrain d’une remise en cause radicale de la société existante. Face à une menace collective, n’opposons pas une autonomie individuelle !
Alexander SAMUEL