« Rapport Obin » le retour : une « laïcité » disciplinaire et réactionnaire dans un contexte autoritaire et fascisant
Jean-Pierre Obin, inspecteur général honoraire, a rendu en avril un rapport sur « la formation des personnels de l’Éducation nationale à la laïcité et aux valeurs de la République » à la demande de Jean-Michel Blanquer·e. Immédiatement le ministre annonce un vaste plan de formation sur quatre ans pour tous les personnels.
Le principal intérêt de ce rapport réside dans sa brièveté et plus particulièrement dans la brièveté de sa partie « contexte » (pages 4-5) dans laquelle l’auteur présente rapidement les conceptions qui ont guidé son travail. Si J.-P. Obin ne précise à aucun moment de manière explicite ce qu’il entend par « laïcité » et « valeurs de la République », sa lecture nous permet de comprendre assez vite où il se situe : dans le camp d’une « laïcité falsifiée » comme l’a analysé Jean Baubérot il y a déjà près de 10 ans (La laïcité falsifiée, éd. La Découverte, 2012).
Dès le premier paragraphe, l’auteur fait mine de constater que « chez beaucoup d’élèves se développe l’idée d’une laïcité coercitive voire punitive, conçue pour brider l’expression des religions ». Et de tirer comme conclusion : « à l’évidence, nous [les républicains] n’avons pas su dire et faire comprendre à nos élèves combien le principe constitutionnel de laïcité était avant tout protecteur des libertés, de leurs libertés ».
Quelques paragraphes plus loin, l’auteur se penche sur les « valeurs de la République ». Il semble regretter qu’aie été mentionnée « la lutte contre les discriminations » car cela « fait sans doute le jeu de l’idéologie victimaire ». Mais il regrette encore plus que soit citée la « diversité » qui « encourage cette fois-ci l’idéologie identitaire ». Et de dénoncer dans la foulée « chez nous [les républicains?] comme un fond de culpabilité masochiste ». La dénonciation de la « repentance » n’est pas loin.
Mais il est temps pour l’auteur de désigner des coupables : « certains promoteurs d’une nouvelle laïcité ‘’concordataire’’ » et des « égéries de la mouvance ‘’décoloniale’’ » qui, crime suprême, « se répandent dans les médias en propos peu amènes pour la politique du ministre ». Mais aussi des « responsables de sites » d’académies, d’INSPE et de l’administration centrale qui osent mettre leurs travaux en ligne.
Quelques pages plus loin (page 12, partie sur « le recrutement et la formation initiale des personnels ») la liste s’allonge : délire de la lutte contre islamo-gauchisme oblige, l’auteur s’inquiète de « l’autonomie universitaire » qui entraine des « dérives idéologiques » qui « ont pénétré quelques instituts [INSPE] ». La preuve : « on inflige parfois aux étudiants des cours ou des mémoires portant sur la ‘’déconstruction’’ du discours officiel sur la laïcité, prétendant mettre à jour le ‘’racisme systémique’’ d’un État ‘’post-colonial’’ et ‘’ islamophobe’’ ». Et d’en appeler au rôle de la « loi séparatisme » pour lutter contre ces « dérives ».
Et l’auteur de finir en appelant à la vigilance contre « le corporatisme enseignant » qui pourrait déboucher sur des « réticences » à appliquer certaines propositions du rapport.
La logique du « rapport Obin » est donc celle d’une « laïcité » disciplinaire et réactionnaire, une « laïcité » de la mise au pas : mettre au pas les élèves qui ne comprennent vraiment rien à la laïcité ; mettre au pas les enseignant·es qui sont à la fois victimes mais quand même un peu coupables ; mettre au pas les formateurs et formatrices, les cadres intermédiaires qui pêchent par « naïveté, incompétence ou complaisance » ; mettre au pas les universitaires accusé·es islamo-gauchisme dans la continuité de la politique de J.-M. Blanquer·e et de D. Vidal.
Osons une hyptothèse hardie : les élèves ont peut-être finalement mieux compris que notre vénérable « inspecteur général honoraire » le sens de « sa » laïcité, lui qui à travers son premier « rapport Obin » sur « les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires » en 2004 apportait déjà sa pierre à l’édifice de la falsification de la laïcité dans un sens identitaire et pour tout dire islamophobe (lire là-dessus l’indispensable ouvrage de A. Hajjat et M. Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », éd. La Découverte, 2013).
Osons une seconde hypothèse toute aussi hardie : leur « république » n’est pas la nôtre ; leurs « valeurs républicaines » ne sont pas les nôtres. Ils et elles incarnent l’héritage de la république bourgeoise, patriarcale et colonisatrice. Nous défendons l’héritage et l’actualité de la république émancipatrice, sociale, antiraciste, féministe et écologiste qui fait vivre concrètement les principes de liberté et d‘égalité.
Et n’hésitons pas à affirmer que notre laïcité n’est pas la leur : nous la concevons non comme une arme pour discipliner les corps et les esprits des « classes dangereuses » mais comme une loi de liberté et d’égalité, dans la droite lignée de la loi de 1905.
Partageant quand même avec J.-P. Obin le souci de bien former les personnels, il nous semble de la plus extrême urgence de mettre en place un plan de formation sur la « laïcité et les valeurs de la république » à destination du ministre et de certain·es hauts-fonctionnaires de l’Éducation nationale. Il pourrait être étendu à tous·tes les entrepreneur·es en falsification de la laïcité qui prennent leurs obsessions pour la réalité sociale.
Ce plan de formation pourrait consister en les modules suivants :
- Un cours d’Histoire de la laïcité basé sur des connaissances scientifiques et non sur de simples opinions qui même répétées inlassablement n’en sont pas moins fausses.
- Un cours d’initiation à la sociologie permettant de comprendre que la connaissance sociologique et plus largement les connaissances des sciences sociales n’ont rien à voir avec une prétendue « culture de l’excuse » mais tout à voir avec la formation de citoyen·nes émancipé·es.
- Des débats d’EMC spécialement destinés au ministre de l’Éducation nationale portant sur les thèmes suivants : Est-il républicain d’essayer de manipuler des lycéen·nes pour créer un « syndicat » à la solde du ministère ? Est-il républicain de s’attaquer à l’indépendance des syndicats enseignants et à l’autonomie de la recherche universitaire ? L’expression « s’habiller de façon républicaine » a-t-elle un quelconque sens ? Dans quelle mesure la diffusion de fake-news par un ministre est-elle un danger pour le débat démocratique ? En quoi les attaques contre les « islamo-gauchistes » relèvent-elles d’une vision complotiste du monde ? Dans quelle mesure la destruction de l’Éducation nationale remet-elle en cause le principe d’égalité ?
Terminons par quelques propositions :
- Pour être en mesure de « faire comprendre à nos élèves » que la laïcité est protectrice des libertés, il est impératif de lutter contre son instrumentalisation à des fins de contrôle social des minorités, objectif premier des politiques autoritaires et racistes qui se multiplient depuis plusieurs décennies. Il faut réaffirmer et revenir à l’esprit libéral (au sens politique fort du terme) de la loi de 1905. Dans cet esprit la « loi séparatisme » est une négation de la loi de 1905 par sa portée stigmatisante des musulman·es mais aussi par le renforcement du contrôle étatique sur les institutions religieuses et sur le monde associatif. C’est donc principalement une loi de dédémocratisation.
- Il ne s’agit pas seulement de « faire comprendre » la laïcité à nos élèves mais bien plutôt de la faire vivre concrètement dans les établissements scolaires. Cela ne pourra se faire qu’en partant des expériences sociales des élèves, de leurs questionnements mais aussi dans la reconnaissance, le renforcement et la mise en œuvre des droits démocratiques des élèves dans nos établissements. Le meilleur moyen de faire vivre la laïcité conçue comme loi de liberté c’est de faire pleinement vivre au quotidien la démocratie à l’École.
- Plus largement, défendre la laïcité dans la société c’est défendre les droits de toutes et tous. Cela passe forcément par une lutte contre les politiques néolibérales de destruction des droits sociaux et des services publics mais aussi par une opposition frontale à toutes les lois liberticides et racistes, en particulier les lois islamophobes étant donnée la centralité de l’islamophobie dans les offensives autoritaires et fascisantes qui se sont accentuées ces dernières années. La constitution de fronts antifascistes et antiracistes apparait dans cette optique comme essentielle.
Arthur Leduc