Philippe
Martinez : « Ce n’est pas
l’immigration qui crée du dumping social, mais
l’absence de droits ! »
Tribune parue dans le
Monde 26 septembre 2018
Philippe
Martinez : « Ce n’est pas
l’immigration qui crée du dumping social, mais
l’absence de droits ! »
Depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois,
est asséné un certain nombre de
contre-vérités sur l’immigration visant
à opposer de manière caricaturale
« main-d’œuvre
étrangère » et
« main-d’œuvre
nationale ». Ces raccourcis dangereux sont
utilisés sous prétexte de
« protéger » la
« main- d’œuvre
locale » avec une évidente
méconnaissance des réalités du monde
du travail.
La CGT, présente au cœur des entreprises et des
services, forte de son expérience en faveur des travailleurs
migrants, tient à rétablir un certain nombre de
vérités.
Rappelons
d’abord que le discours nationaliste visant à
opposer travailleurs français et travailleurs
immigrés est une vieille recette
d’extrême droite.
Les réactions identitaires et la
désignation des travailleurs immigrés comme boucs
émissaires ont accompagné les périodes
de crises économiques et la montée des fascismes
en Europe. Il est irresponsable dans la période que nous
vivons de semer la confusion et d’attiser de tels sentiments
d’opposition entre salariés pouvant mener
à la haine.
Le fait
migratoire est un phénomène incontournable,
stable et continu dans l’histoire de
l’humanité.
Prétendre que l’on peut
stopper ou maîtriser les mouvements migratoires est un leurre
politicien et une posture idéologique. Les plus hauts murs
n’empêcheront jamais des personnes de fuir, au
péril de leur vie, la guerre, la misère
économique ou les persécutions.
Les vagues migratoires aussi font partie intégrante de notre
histoire. Elles ont construit, façonné la
richesse de notre réalité culturelle et
contribué au développement économique
de notre pays depuis des siècles.
Nous ne faisons pas face à une invasion de migrants et notre
pays doit accueillir humainement et dignement ceux qui fuient leurs
pays. Cela se nomme la fraternité.
Ces salariés font partie intégrante de la classe
ouvrière !
Ce
n’est pas l’immigration qui crée du
dumping social mais l’absence de droits !
Les nombreux combats menés par les
travailleurs engagés avec la CGT, toujours victorieux,
démontrent que ces travailleurs migrants ne sont pas
déterminés à se faire exploiter, mais
déterminés à se battre pour leur
dignité, leurs droits et
l’égalité de traitement :
« A travail égal, salaire
égal ! »
Est-ce le
fait migratoire qui les place en situation de
vulnérabilité sur le marché du
travail ?
Non ! C’est l’absence
de droits ou l’inégalité de droits
liés à leur absence de statut administratif ou
à la précarité de ce statut. Ces
salariés font partie intégrante de la classe
ouvrière !
Quelle que soit leur origine, ce sont des travailleurs et des
travailleuses de France avant tout ! Des pans entiers de
l’économie ne fonctionneraient pas sans eux. Ils
occupent généralement les emplois les moins
attractifs, les plus pénibles, dangereux et exigeants.
Dépourvus de titres de séjour ou
précarisés par leur statut, ils sont
l’objet de discriminations et peuvent subir des conditions de
travail indignes ou de traite des êtres humains du fait de
leur vulnérabilité.
L’Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE) pointait
déjà ces réalités de
l’immigration professionnelle dans un rapport
publié en 2017 et préconisait la
régularisation de ces travailleurs et l’ouverture
de voies légales de migration. C’est le
durcissement des politiques migratoires comme la dernière
loi asile et immigration, usine à fabriquer des
sans-papiers, qui précarise les travailleurs migrants.
Ne pas se
tromper d’ennemi
Renforcer les contrôles aux
frontières et rendre plus difficile
l’accès au séjour et au droit de
travailler dégradent de plus en plus violemment les parcours
migratoires, les conditions de vie et de travail dans les pays
d’accueil et entre- tiennent les mafias et les
réseaux de la traite des êtres humains.
Un Etat de droit se doit de protéger l’ensemble
des travailleurs sur son territoire, dans
l’intérêt de tous !
Lutter contre le dumping social, c’est se battre ensemble
pour l’égalité des droits.
Il est plus que jamais nécessaire de renforcer la
solidarité entre les salariés sur les lieux de
travail. Nous formons une seule communauté de travail et nos
droits sont inextricablement liés.
Aux personnes qui prétendent qu’il faut reconduire
à la frontière les travailleurs sans papiers car
leurs conditions de travail engendrent du dumping social, nous
demandons si la prochaine étape de leur projet consisterait
à « renvoyer les femmes à la
maison » car elles aussi sont victimes
d’inégalité salariale… ?
Il est
plus que temps d’avoir du courage politique, de combattre les
idées véhiculées par
l’extrême droite et surtout de ne pas se tromper
d’ennemi !
C’est la précarisation de tous
les travailleurs, la remise en cause des acquis sociaux par les
politiques d’austérité
menées par nos gouvernants qui font grandir les sentiments
de mal-être et de repli sur soi dans la population.
Ce n’est pas en opposant les salariés entre eux
que nous protégerons nos droits. C’est en luttant
ensemble, en insistant sur « ce qui nous
lie », et non sur « ce qui nous
oppose », que nous pourrons nous battre efficacement
pour une société meilleure et
égalitaire.