Numérique à l’école : serons-nous à la hauteur ?
De P. Gromann
L’école est-elle à la hauteur pour préparer nos élèves aux évolutions technologiques liées à l’usage du numérique? Telle est l’inquiétude de beaucoup de parents. Les enfants le savent et arguent parfois de l’utilité d’un smartphone à l’entrée en sixième. Est-ce bien suffisant d’ailleurs, une tablette ou un ordinateur ne donneraient-il pas de meilleures chances de réussite à nos enfants ?
Parents, vous hésitez ? Le Ministère de l’Education Nationale finira de vous convaincre : son plan numérique promettait dès 2015 des équipements individuels mobiles pour tous les collégiens pour la rentrée 2018. On en est bien loin, et vous, dans le doute, vous décidez de céder : « il est hors de question que mon enfant reste au bord du chemin, tandis que le monde avance ». Le smartphone, c’est le progrès, c’est l’avenir. Les parents ont bien un smartphone et un ordinateur, ils surfent sur le web, et font de plus en plus d’achats en ligne. Mais l’utilisation pédagogique et la formation au numérique au collège, ça reste un peu abstrait.
Qu’ils se rassurent, du côté enseignant, c’est assez flou aussi. Enfin non : pour moi, ça devient plutôt inquiétant. Mon salaire n’augmente pas, c’est le nombre d’élèves par classe qui augmente progressivement, et ma charge de travail s’alourdit… quand un collègue est absent, il n’y a plus de remplaçants, la direction de l’établissement contacte Pôle-Emploi et arrive un nouveau collègue non formé qui se retrouve devant une classe, sans formation, mais avec un ordinateur et un vidéo-projecteur dans sa salle. Dire que ça se passe toujours bien pour le nouveau collègue et ses élèves, ce serait mentir. Quant à moi, j’ai aussi dans ma salle mon ordinateur, mon vidéoprojecteur, mon TBI. Le numérique est un outil quotidien. On m’a même offert un I-pad tout neuf, avec un clavier qui peut se clipper dessus. Un apple pencil aussi. A charge pour moi de trouver comment m’en servir. A chercher, on finit par trouver un usage.
Mais il est des sujets sur lesquels l’esprit critique est mal venu. Sur l’usage du numérique par exemple. C’est comme insulter le progrès, refuser un futur inéluctable ou revenir à la bougie. Mettre à disposition des enseignants de collège des Alpes Maritimes un I-pad – 650€ – sans qu’on le demande, ne serait-ce pas une façon d’imposer Apple et d’habituer tous les élèves à son usage ?Sans – et même contre – l’avis des enseignants, imposer les tablettes numériques et retirer les manuels scolaires dans tous les lycées de l’académie, est-ce vraiment dans l’intérêt des élèves ?Dans quelle mesure l’usage du numérique à la maison peut-il accentuer les inégalités scolaires ?L’utilisation fréquente de logiciels privés et payants n’impacte-t-il pas de façon durable les habitudes de consommation numérique de nos élèves ?
Quel est l’impact écologique et sanitaire de l’usage massif du numérique et de la wifi dans les établissements scolaires ?
A partir de quel âge est-il souhaitable de mettre une tablette dans les mains des élèves au sein d’une classe ?
Sommes-nous en train de préparer un conditionnement à l’usage des GAFAM ?
Un élève de sixième a-t-il besoin d’un smartphone pour son entrée au collège ?
Beaucoup d’enseignants se posent de telles questions et ont des réponses. Au sein de la CGT éduc’action biensûr, mais pas seulement, loin s’en faut. Beaucoup de parents se les posent ou aimeraient connaître notre avis. C’est pourquoi nous devons apporter des réponses. Si nous avons des divergences, nous devons en débattre et à terme, pouvoir imposer les débats dans nos établissements, au sein de nos réunions d’information syndicale, avec dans nos bagages la force de la réflexion collective qui a précédé. Les enseignants et les parents d’élèves doivent connaître notre position. Être à la hauteur du numérique, s’agit-il d’être à la pointe de l’innovation, ou bien de développer et de diffuser des pratiques qui protègent et participent à une éducation émancipatrice ?