Méfions-nous des hommes oranges
Belle nouvelle dans une aube de plus en plus sécuritaire. J’ai veillé pour ça. Enfilé force cafés devant CNN. Outre-Atlantique, à des milliers de kilomètres du « cher pays de mon enfance », de la ville qui m’a vu naître, que les états d’urgence replient sur soi, racornissent, étranglent, Donald ne sera plus résident d’Amérique.
Il ne pilotera plus ces états désunis, plus tout à fait gendarme du monde, feu modèle de société de consommation, terre où tout est possible et permis, pays puissant mais fracturé, imprévisible, incompréhensible .
Cette annonce et la vision de rues en liesse, de gens qui dansent, me comble d’aise. Déchiré, j’éteins l’étrange lucarne, jette deux Guronsan dans un verre d’eau, file sur le balcon et observe une trentaine de hérons blanc se disputer l’étang municipal avec une nuée de grues cendrées. Parabole matutinale.
Le reconfinement fait de nouveau revenir plus de nature dans la ville.
Ce sentiment de plénitude ne dure hélas que quelques secondes, le temps d’avaler le verre effervescent, je reçois un appel.
Un ami qui habite la ville voisine, dans la cité HLM des Poètes, complètement affolé, me décrit une scène surréaliste : de plusieurs véhicules de police sortent des hommes cagoulés, mitraillette au plexus, ils investissement le hall d’entrée deux immeubles, montent dans les cages d’escaliers, on entend alors des coups sourds, des cris, des portes qui claquent, des ordres, des hurlements, des sidérations. Au bout de quelques minutes, ces mêmes hommes, en uniformes oranges de la nouvelle Unité de Sûreté Intérieure, emmènent des enfants dissimulés sous des couvertures, refoulent parents et fratries, rembarrent voisins, jettent grenades de désencerclement pour que détalent voitures et fourgons.
Mon ami me dit que ce sont des gosses qui ont été embarqués, des gosses du quartier, de l’école, rapport à la rentrée du 2 novembre. Ils auraient fait l’apologie du terrorisme. Il me dit que les habitants sont dehors, hagards, furieux, en train de passer des coups de fil, les parents des gamins hurlent, pleurent. Dans tous les bâtiments, des appartements s’éclairent. Mon ami a filmé toute la scène, ses mots tremblent, il me dit qu’il descend, qu’il a peur, qu’il rejoint des voisins sur le parking, que sous la fumée toxique, il y a un doudou mort, qu’il me rappelle.
Pantois, je passe du balcon au salon, rallume l’étrange lucarne, flash d’info aux couleurs criardes , orangées, couleurs de furie et de feu : « Ce matin, à l’aube, cité des Poètes à Noville, quatre enfants de CM2 ont été interpellés pour « apologie du terrorisme et menaces de mort ».
Aujourd’hui est un putain de dimanche, encore un putain de jour du Saigneur, je m’habille, laisse un post-it sur le frigo pour ma douce et mes filles, saute dans ma Volvo break automatique, démarre en trombe direction Noville. Sur la bretelle d’autoroute, je mets une radio qui passe cette chanson de Jonasz :
Cet homme étrange, dans un déshabillé orange
Qui arrête les passants, pour les vider de leur sang
Cet homme étrange, avec sa beauté qui dérange
Qui vous conduit vers un ailleurs, un monde pas forcement meilleur
Vous le suivez, vous le suivez,
La nuit vous en rêvez.
Quittant les pavés maladroits, les routes qui ne vont pas tout droit
Il vous conduit dans un endroit, où ne règne que l’angle droit
Cet homme étrange, dans un déshabillé orange
Qui vous parle en « tant pour cent », sa banque c’est la banque du sang
Cet homme étrange, avec sa beauté qui dérange
Chaque fois qu’on voudrait lui parler, on n’sait pas où il faut aller…
Bordel, où allons-nous ?
78 septembre 2020 Zirteq