Méfions-nous des applications
Beaucoup en rêvaient. Dark Manin l’a fait.
Le sinistre de l’Intérieur, qui a lancé en début de semaine, l’application « Flic and collect », dans le cadre de la loi Sécurité létale, vient en assurer le service après-vente, trois jours plus tard, dans le journal de 20H.
« Le principe en est on ne peut plus simple, explique t-il : en un click, vous tombez sur le site « Bavures du sinistère de l’Intérieur » où chaque citoyen, chaque citoyenne peut choisir lieu, heure, date, nombre de flics désiré et surtout mode de bavure. Par exemple : place de la Libération, 23H, dimanche en 15, 4 gardiens de la paix, tabassage au tonfa uniquement, durée dix minutes. Ou encore, parking du centre commercial LEX, lundi en 8, 5H du matin, un équipage de la BAC, gazage, menottage et étranglement. »
Je suis devant ma télé Pathé Marconi et faut voir les yeux exorbités de la présentatrice mainstream devant la mine martiale du chef de la police et son débit de mitraillette, excité comme un pou, écartant toutes critiques quant à la création d’un énième site SM.
Chaque citoyen, chaque citoyenne pourra, à loisir, désigner une autre personne, à condition de renseigner identité, nom, prénom et adresse sur l’application et ensuite de respecter le protocole. Je pense qu’il est vital de donner cette possibilité aux zabitants du « cher pays de notre enfance » et je complète d’ailleurs cette palette par la création d’un numéro vert de peur, en cas de réclamations.
Et la journaliste à la botte d’intervenir (après consignes à l’oreillette) en confirmant, enquête fouillée et images vidéo à l’appui, que l’application sinistérielle est d’ores et déjà opérationnelle : matraquage d’un fabricant de raviolis chinois clandestin, dans son appartement, à l’heure de la cuisson ; dispersion d’une chorale d’enfants à grands coups de grenades de désencerclement ; séries de croche-pieds aléatoires durant un marathon. Le tout filmé par les caméras de vidéosurveillance gouvernementales avec floutage des gueules des agresseurs en uniforme.
« Et ça marche ! » tonitrue Dark Manin en tirant au LBD dans le décor du studio.
J’ai les foies, moi, enseignant et directeur d’école chevronné, à la lisière de la retraite, je suis traversé d’une peur immarcescible devant cette interview délirante, je me dis « Mais putain ! Quel monde laissons-nous aux générations futures ?! », j’ai des sueurs froides de dingue.
A cet instant précis, le réveil sonne et je me réveille, sonné. Mon épouse me regarde avec des yeux exorbités et me dit que je viens de faire un cauchemar. Je me lève et je la bouscule presque, je vais dans le salon, je veux en avoir le coeur net, j’allume la télé, flash info sur Béaifème :
Les faits, qui remontent à la nuit dernière, se déroulent dans le 17e arrondissement de la capitale. Michel raconte qu’arrivé près de ses studios d’enregistrement, sans masque, il aperçoit une voiture de police. Le port du masque étant obligatoire, il décide d’entrer dans ses locaux pour éviter une amende de 135 euros. Mais il est suivi par les trois policiers, qui entrent, illégalement, dans les studios d’enregistrement, pour l’en faire ressortir. Avant d’entendre un mot, Michel sent des mains qui le poussent ou le tirent”. Il explique qu’il est chez lui, refuse de sortir. Les policiers sont alors virulents. Durant cinq minutes, une vingtaine de coups de poing, une dizaine de coups de pied et une quinzaine de coups de matraque s’abattent sur Michel, notamment au crâne et au visage. Les trois policiers lui assènent aussi des coups de genoux dans le visage et tentent de l’étrangler. Des insultes fusent : « Sale nègre, Ta gueule, On va te défoncer ». Les cris de Michel finissent par alerter neuf artistes qui enregistrent un morceau, un étage plus bas. Ils montent pour venir en aide au producteur. En sous-nombre, les policiers finissent par libérer Michel, qui s’enferme dans le studio. Mais la situation ne s’arrête pas là. Repoussés à l’extérieur, les policiers tentent à nouveau d’entrer. Une grenade lacrymogène est lancée à l’intérieur. Des renforts sont appelés. Les forces de l’ordre dégainent leurs armes et intiment à Michel l’ordre de sortir. « Ils m’ont sorti et je m’en prends plein. Je me prends des coups de tous les côtés, je leur dis J’ai rien fait » déclare Michel.
On est dimanche à l’aube et avec l’amour de ma vie, on reste sans voix, incapables de nous pincer.
92 septembre 2020 Zirteq