Méfions-nous de la verticalité
Denys, tyran de Syracuse, (431 – 367 av JC) vivait dans un château cerné d’une fosse, sous la surveillance de nombreux gardes. Denys, qui était toujours inquiet, se trouva des courtisans qui devaient le flatter et le rassurer. Parmi eux, Damoclès, roi des orfèvres, ne cessait de flagorner son maître sur la chance qu’il avait d’être le tout-puissant de Syracuse. Agacé, ce dernier, lui proposa de prendre sa place le temps d’une journée. Au milieu du festin, entre un cuisseau de chevreuil et une poignée de sorbes, de raisins et de nèfles, Damoclès, levant la tête, s’aperçut qu’une épée était suspendue au-dessus de lui et n’était retenue que par… un crin de cheval.
Aujourd’hui, lorsqu’on dit « avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête », c’est pour décrire une situation particulièrement dangereuse ou pénible.
Avoir en permanence un danger à la verticale de soi est chose fort incommode et d’aucun-e peut sombrer à vitesse grand V dans une peur et une paranoïa aiguës. Par tous ces difficiles lendemains qui courent et tous ces temps qui déchantent, par ce foutu virus, par toutes ces prises de paroles sinistérielles sur les semaines pénibles à venir, sur les couvre-feux exponentiels qui obligent 46 millions de Français (et moi et moi et moi) à se confiner de 21H à 6H du matin, je comprendrais que beaucoup d’Ignycontains-es fixent un ciel, un plafond, une nef, la cime d’un hêtre, la verrière d’une gare, en tremblant et suant froid. Où devons-nous donc tourner nos regards ? D’ailleurs, est-ce qu’on se regarde encore dans cette société de plus en plus anonyme ?
Entre celles et ceux quifontquezieuter leur smartphones, celles et ceux quifontquezieuter par-dessus leur épaule, celles et ceux quifontquezieuter leurs chaussures, celles et ceux quifontquezieutermal les Autres, celles et ceux quifontquezieuter les médias charognards, celles et ceux quifontquedire « y manquait plus que ça », je me dis que la rentrée, au sortir des vacances de la Toussaint, sera dure à gérer. Rajouter toutes celles et ceux quifontquezieuter le guide Vidal et celles et ceux quifontqu’avaler les pilules de com des grands labos pharmaceutiques avides de toucher le pactole du vaccin anti-COVID, c’est effroyablement une fin d’année merdique qui s’annonce.
L’état de verticalité existe depuis des millénaires dans le monde du religieux, les croyants-es ont le droit de croire en un dieu, une immanence « d’en-haut », qui régenterait, organiserait le monde d’en-bas. Dans le champ de l’éducation nationale aussi, depuis bien longtemps mais la doxa gouvernementale se fait plus prégnante depuis la nomination de JMB au sinistère de la rue de Grenelle : à partir du moment où, d’une part, il considère qu’un fonctionnaire doit obéir (et le sinistre de multiplier les dispositifs de contrôle qui transforment ce dit fonctionnaire en opérateur « playmobilisé ») et que, d’autre part, il considère qu’un parent est un client, on voit assez bien ce que cela donne sur le terrain. Malaises, souffrances, montée de la contestation et atteintes et attaques en légitimité. ET je nous épargne l’ouverture des parapluies de la hiérarchie qui abhorre les vagues et les vents revendicatifs sur des fronts de mer sociaux et des caps pas très clairs. La faute au capitaine.
Quant au flot de discours quasi-lacrymaux de circonstance, il ne peut gommer l’article 1 de la loi JMB qui marque nettement la défiance du sinistre envers les professeurs, il ne peut faire oublier son mépris pour leurs opinions, il ne peut masquer les répressions, les injonctions envoyées au quotidien par la hiérarchie, il ne peut masquer la suspicion sur les pratiques pédagogiques, l’obligation de rendre compte en permanence…
Quand le sinistre de l’Instruction déclare : « Je vais travailler avec les enseignants-es pour qu’il y ait un consensus national ». Quand il re-déclare : « Nos enseignants continueront à éveiller l’esprit critique des citoyens de la République, à les émanciper de tous les totalitarismes et de tous les obscurantismes ». Et re-re-déclare : «[…] Ce qui s’est passé… a des racines: c’est la haine de la République. Il y a des ennemis de la République, contre la République et donc contre l’Ecole », il nous tend un mille-feuille républicain nappé du sceau de la Nation, celui que tous ceux d’en-haut (toujours la verticalité) ressortent du frigo national en se catapultant défenseur d’une unité autour d’un combat commun, ici celui de la lutte contre le terrorisme, autour de valeurs communes, ici celles de laïcité, de liberté d’expression et de liberté de la presse. Vaste programme qu’il faudrait, en quelques jours, décliner en propositions fortes pour le terrain. Terrain miné où des gens minés par l’angoisse, la sidération, la douleur lèvent les yeux aux ciels pour comprendre à quels saints se vouer ou bien constater l’état de ce putain de crin de cheval qui retient l’épée sus-citée.
Après avoir rencontré les représentants des personnels, les premières propositions sinistérielles sur ce qu’il faudrait faire le jour de la rentrée, tombent:
– temps d’échange entre professeurs avant l’accueil des élèves. La matinée ou une partie de cette matinée serait banalisée.
– demande aux enseignants d’accueillir chaque classe avec deux adultes (qui pourrait être un-e élu-e !), de leur lire un texte ou de leur faire regarder une vidéo, envoyés par le sinistère avant un temps d’échange avec les élèves.
– hommage collectif sous forme d’une minute de silence.
La deuxième proposition pose clairement problème. Elle correspond à ce « cadrage strict » annoncé par JMB. Or, son séquençage, son contenu viendront encore d’en-haut dans une période où les déclarations politicardes – après un jour ou deux de concorde nationale – traduisent la mise en binarisation de la société. Après la lepénisation, la sarkoïsation des esprits, désormais, la majorité des leaders de partis polarisent, binarisent le débat, distribuant bons et mauvais points/poings dans les gencives d’une opinion publique que les médias mainstream n’aident guère à réfléchir tant ils surenchérissent, tant ils refusent d’aborder la complexité des évènements, tant ils choisissent de ne pas proposer aux gens de lectures plurielles, interculturelles de la situation réellement vécue, du trauma réellement profond.
Alors que dire des déclarations au ras de l’analyse de certains consorts du sinistre de l’Instruction, comme ce… sinistre de l’Intérieur Dark Manin, qui endosse un costume de super-policier trop grand pour lui et qui utilise certains mots comme autant de grenades de désencerclement.
Heureusement, des voix plus responsables, plus émancipatrices s’élèvent pour affirmer que l’Ecole … »[…] exerce sa mission éducative en construisant avec la patience nécessaire les savoirs et la culture commune qui permettront à chaque citoyenne, chaque citoyen d’exercer sa liberté avec raison. Rien qui ne puisse se résoudre autrement que dans le lent travail qui exerce la pensée, fonde l’esprit critique sur la raison et apprend à soumettre les choix et les actes à l’exigence de la réflexion. Qui oserait confondre cette lutte contre l’intolérance et l’extrémisme par l’éducation avec une lâcheté laxiste ? Contre l’horreur de la violence inacceptable, nous devons plus que jamais affirmer le primat absolu de l’éducation » dixit Paul DEVIN.
Que « […] l’espérance que nous soyons sans cesse plus nombreux à refuser les intolérances mortifères, à militer pour que la joie du partage supplante les replis sur soi et que la construction d’un avenir commun l’emporte sur les communautarismes » dixit Philippe MEIRIEU, dans un communiqué des CEMEA.
Tout en me servant un arabica, je me demande comment organiser la rentrée, l’anticiper pour parler de tout ça, de toutes ces choses, d’abord avec l’équipe puis avec les enfants et les parents. Faut-il écourter les vacances, se voir vendredi prochain, se voir très tôt le premier jour, retarder la rentrée des élèves? Faut-il organiser une visio-conf dominicale avec les volontaires ?
Sur le site du « Café pédagogique », dont je suis un grand surfeur, je tombe sur une enquête réalisée par le CNESCO qui apporte quelques éléments d’analyse. Le Centre national d’étude des systèmes scolaires s’empare d’un dossier particulièrement délicat dans le système éducatif, celui de la laïcité. Depuis le rapport Obin en 2005, tout un courant présent dans l’institution scolaire s’est focalisé sur l’islam plus que sur la laïcité. D’où pluie de circulaires et de chartes. Plus loi interdisant les signes religieux ostensibles en 2005, plus charte de la laïcité en 2013, plus mobilisation pour les valeurs de la République en 2015, plus conseil des Sages en 2018 version JMB.
[…] « Le Cnesco s’appuie sur une enquête particulièrement riche. 16 000 élèves de 3ème et terminale ont été interrogés ainsi que 500 professeurs d’EMC (éducation morale et civique) et 350 chefs d’établissement. Les questions portant sur la laïcité ont été noyées dans d’autres questions, de façon à ne pas orienter les réponses.
Le principal enseignement de cette enquête, c’est la très forte adhésion des élèves à la laïcité. Ainsi 90% d’entre eux et 100% des professeurs et personnels de direction trouvent important qu’à l’école, les élèves soient tolérants entre eux, quelques soient leurs croyances, et que les enseignants respectent tous les élèves.
67% des élèves et 90% des professeurs estiment qu’un enseignant n’a pas à évoquer ses croyances en classe.
Les élèves interrogés sont aussi majoritairement contre l’influence religieuse dans la société. 90% des élèves de terminale sont contre l’idée que les responsables religieux devraient avoir davantage de pouvoir et 83% estiment que les règles religieuses sont moins importantes que les lois de la République. Il reste néanmoins des points d’achoppement comme le suivant : deux élèves sur trois jugent qu’on doit pouvoir s’absenter pour une fête religieuse alors que seulement 40% des enseignants et personnels de direction sont d’accord.
Cela permet au Cnesco de faire une belle découverte : plus les connaissances civiques des élèves augmentent (à caractéristiques équivalentes : filles comme garçons, favorisés comme défavorisés, immigrés ou non, en éducation prioritaire ou non…), plus ils ont tendance à considérer comme important le respect de la religion de chacun ainsi que la libre expression de leur religion par les élèves dans l’école.
L’EMC a donc un impact bien réel. Ainsi 42% des élèves de 3ème ayant de faibles connaissances civiques estiment que les règles religieuses doivent primer sur les lois contre 12% des élèves ayant de très bonnes connaissance.
L‘enquête montre, sans surprise, des différences entre établissements dans un système aussi ségrégatif que le système scolaire du « cher pays de notre enfance ». Si 98% des professeurs d’EMC interrogés estiment qu’il n’y a pas de problème de remise en cause de leur enseignement pour des motifs religieux, 15% des professeurs d’EMC en Rep et 5% en Rep+ signalent des problèmes. Les lycées professionnels ne sont pas eux aussi favorables à la laïcité note le Cnesco. Dans ces deux cas, Rep et LP, le Cnesco estime que c’est le résultat de la ségrégation sociale et scolaire. Ces établissements concentrent les catégories d’élèves les plus à risque de ne pas connaître ou ne pas respecter les principes de laïcité.
«Globalement on a l’impression que l’Ecole inculque les principes de la laïcité » déclare, Barbara Fouquet-Chauprade qui a dirigé l’étude. « C’est un panorama pacifié ». Nathalie Mons souligne la sécularisation de la société française par rapport à ses voisines et le fait que les jeunes soient en 1ère ligne dans ce phénomène. Les jeunes respectent la laïcité à l’école même s’ils sont moins stricts pour la vie privée hors école.
C’est ce qui amène le Cnesco à faire des préconisations. Pour Nathalie Mons, il faudrait introduire dans l’EMC un cadre de compétences sociales correspondant au fait de vivre dans une société pluraliste comme cela se pratique chez nos voisins comme les Pays Bas ou l’Angleterre. « Il faut une réflexion sur l’école qui réussit la laïcité dans l’enceinte de l’école mais moins en dehors. Il faut ouvrir l’école sur la société civile dans le cadre de projets citoyens. Pour cela il faut développer la formation continue des enseignants. Et développer la mixité sociale à l’école aussi pour empêcher les établissements à problèmes. »
Ces préconisations prennent le contre pied des orientations et positionnements sinistériels, JMB jugeant « regrettable » le voile des accompagnatrices scolaires, fustigeant les parents des petits garçons de maternelle qui refuseraient de prendre la main des filles pour des raisons religieuses et, en dépit des statistiques, des petites filles qui seraient non scolarisées pour des raisons religieuses par exemple.
Le rapport du Cnesco apporte des données claires : il n’y a pas de problème grave de laïcité dans les établissements. Ceux-ci savent gérer les problèmes quand ils arrivent. Il y a par contre des progrès à faire pour enseigner la laïcité et ouvrir au monde dans des établissements ségrégés.
Dans le contexte actuel, il faudrait un discours porteur d’une nouvelle utopie. Difficile. Il faudrait un discours clair qui permette aux personnels d’être à l’aise avec la nouvelle réalité de la société et de viser l’avenir, il faudrait les mots d’une nouvelle civilité nationale. Re-difficile. Il faudrait revenir aux sources de la laïcité, ce qui permettrait de dépasser l’opposition entre les tenants de la « laïcité fermée », identitaire qui ne pensent qu’aux interdictions et ceux de la « laïcité ouverte » qui défendent les principes de la liberté de pensée. Il faudrait…
Je reprends du café et un Tranxène.
Jememetsàzieuter les notes prises ces derniers jours, griffonnées sur un Moleskine : non-créations de postes dans le secteur hospitalier, primes de Toussaint qu’on jette aux soignants-es comme des esquilles à ronger, pour faire taire leurs colères et encore places en réa dans les hôpitaux qui n’ont pas augmenté et encore nombre insuffisant de respirateurs. Je réalise que les masques donnés par mon institution sont toxiques, je réalise que les masques commercialisés sont toujours « made in China », je constate par la fenêtre de la cuisine que l’Ancien monde n’a pas disparu, je regarde ma rue et je repense à ce putain d’assassinat à huit kilomètres à vol de corbeaux de malheur d’ici, à ce putain de monde qui ne tourne pas rond et je lève la tête, histoire de vérifier qu’il n’y a pas d’épée au plafond et je sonne quand mon portable sursaute. Mon épouse et nos filles rentrent du cinoche, de la séance de 18H30, la dernière, because le couvre-feu. Et je me rends compte que même la Culture fout le camp, qu’on l’étrangle, qu’on la sacrifie. Je reprends vite mes esprits, répond à ma femme que je fais réchauffer le chili de midi et prépare une salade chicons/Bleu de Gex/cerneaux de noix. Je me ressaisis. La réalité reprend ses droits.
Je pose délicatement sur la platine de mon tourne-disque Phillips orange, « Denis » la belle chanson de la troublante Blondie.
Oh Denis ooh-be-do, je suis amoureuse de toi
Oh Denis ooh-be-do, je suis amoureuse de toi
Oh Denis ooh-be-do, je suis amoureuse de toi
Denis, Denis, oh avec tes yeux si bleus
Denis, Denis, je t’ai mis le grappin dessus
Denis, Denis, je suis si amoureuse de toi
Oh quand nous nous promenons c’est toujours si bon
Et quand nous parlons ça ressemble au paradis
Denis, Denis, je suis si amoureuse de toi
Tu es mon roi, et je suis au cieux chaque fois que je te regarde
Quand tu souris c’est comme un rêve
Et j’ai tellement de chance, car j’ai trouvé un garçon comme toi
Denis Denis avec tes yeux si bleus
Denis Denis moi j’ai flashé pour nous deux
Denis Denis un grand baiser d’éternité
Denis Denis Je suis si folle de toi
Denis Denis Oh embrasse moi ce soir
Denis Denis Pour un baiser d’éternité
Oh Denis ooh-be-do, je suis amoureuse de toi…
Zirtec e 55 septembre 2020