Méfions-nous de ceux qui fustigent mini-jupes et autres crop tops, zont dangereusement les zidées courtes
» Perrette, sur sa tête ayant un Pot au lait
Bien posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue elle allait à grands pas ;
Ayant mis ce jour-là pour être plus agile
Cotillon simple, et souliers plats. […] «
Dans cette fable « La laitière et le pot au lait », Jean de la Fontaine montre les dangers de l’imagination (confusion, fausseté). L’imagination peut devenir source d’égarement pour l’homme (vertige, ivresse), peut laisser agir nos sens sans contrôle et, comme Perrette, nous conduire à l’erreur.
Cette réflexion me traversa l’esprit alors que je sortais de l’école, en ce vendredi crépusculaire et qu’à la une d’un quotidien régional, je vis le sinistre de l’Inculcation, masqué jusqu’au crâne qu’il a poli, évoquer ce qu’il nomme « la tenue républicaine » à l’école. Concomitamment, jaillirent du tabac-presse, deux adolescentes épanouies qui s’esclaffaient en lançant : « Nonmétavu la tête du proviseur quand on s’est pointées en crop tops ce matin! MDR !»
Avant de rejoindre notre meunière « Art Nouveau », un tantinet émoustillé par ce que je venais de voir et d’entendre, je passai par l’épicerie coopérative afin de respecter les desiderata de ma chère épouse et de nos deux filles, friandes de légumes et de fruits qui fleurent bon les légumes et les fruits et partisanes de circuits courts. J’en profitai aussi pour acheter une tablette de chocolat noir équitable guatémaltèque, pailleté de grains de sésame, un saucisson sec « Le Mormeillet d’sa mère » et un vin rouge bio, histoire d’attaquer le week-end dans des conditions optimales.
Les discussions au souper tournèrent bien sûr autour de cette polémique sur le croc tops -dont j’ignorais la signification et l’existence quelques heures auparavant – et la posture moralisante du sinistre sus – nommé.
Qu’est-ce donc que le croc tops ?
Nos filles, lycéenne et étudiante nous expliquèrent que tout était parti, à la rentrée, de deux établissements d’une ville sudiste qui avaient interdit aux adolescentes de porter mini-jupes et donc « crop tops », c’est-à-dire tee-shirts ou débardeurs coupés quelques centimètres au-dessus du nombril.
Très vite les élèves revendiquèrent le fait de pouvoir entrer dans ces établissements, « légères et court vêtues » comme la Perrette de la fable. Or, si dans cette fable, l’imagination excessive de la jeune fille lui joue des tours, en l’occurrence, dans cette polémique, c’est plutôt de l’imagination moralisatrice des censeurs de tous poils dont il est question .
Et l’imagination est clairement devenue source d’égarement pour l’homme de morale infectée de naphtaline qu’incarne le sinistre de l’Inculcation. Son désir de corseter la jeunesse, de lui apprendre à s’habiller, de montrer à l’opinion publique du « cher pays de notre enfance » où sont les vraies valeurs, de museler ses ouailles, ce désir vire à l’obsession. JBM s’imagine qu’il peut communiquer sur tout et n’importe quoi. Nous en conclûmes qu’il devrait édicter très vite des règles vestimentaires restrictives pour la gent masculine, traversant les couloirs des établissements scolaires de la République, dans des tenues qui pourraient aussi choquer aussi le commun des « marcheurs ». Non ?
En tous cas, nombrils levés et percingués, de nombreuses adolescentes manifestèrent leur ire mais surtout leur désir de liberté, le 14 septembre dernier. Invité à réagir, le sinistre déclara au micro d’une chaîne de télé vomitive qu’« il serait temps qu’on ait dans notre pays sur ce sujet des positions équilibrées. Entre ceux qui veulent qu’on ne voit pas leur visage, et ceux qui veulent avoir des tenues de tous ordres, je pense qu’il y a une sorte de grand bon sens qu’on doit avoir. C’est d’ailleurs un bon sens qu’on retrouve dans les règlements intérieurs des établissements ».
A table, entre la salade de cresson et la quiche aux poireaux, nous nous amusâmes follement en essayant de décrypter cette première déclaration hautement absconse. Un : quel rapport entre ceux qui veulent qu’on ne voit pas leur visage et…la choucroute bio ; deux : qu’est-ce-qu’un « grand bon sens » ?
Une semaine plus tard, môssieur le sinistre complétait : « Vous n’allez pas à l’école comme vous allez à la plage ou en boîte de nuit », invitant les élèves, filles et garçons, à venir « à l’école habillés d’une façon républicaine ». Sous le soleil des tropismes, le rabat-joie était encore pris la main dans le sac tant il est vrai qu’on ne va pas au conseil des sinistres comme on va aux fraises ou aux champignons. Quoi que.
Alors, nous dîmes-nous logiquement, après le dessert : « Qu’est-ce qu’une tenue « républicaine », qu’est-ce qu’une tenue « normale » ou « correcte » ?
En surfant sur le web, je dégotai cette déclaration : « Il n’existe pas de définition légale de la tenue correcte, explique Me Valérie Piau, avocate spécialiste en droit de l’éducation. Dans leur règlement intérieur, les établissements scolaires utilisent fréquemment ce terme qui est arbitraire. Ce qui est considéré comme étant correct dans le 9-3 ne le sera pas forcément dans le 16e arrondissement de Paris. Dans les écoles, les collèges et les lycées, les seules tenues interdites par la loi sont celles qui pourraient dénoter de signes ostentatoires religieux. »
La discussion faillit partir, à cet instant-là, sur l’épineux sujet de la loi sur les séparatismes et sur le discours (tantattendu) de Zacron. Mais il nous fallait encore en découdre sur ces questions vestimentaires, sur les habits dorés de la République, sur toutes ces vestes retournées à l’envi, sur les journées de la Jupe, sur les pantalons de mai 68.
Deux approches différentes prévalent dans les règlements intérieurs des établissements scolaires : ceux qui se contentent d’exiger une« tenue correcte » et ceux qui choisissent d’énumérer plus précisément les tenues interdites.
Si nos normes vestimentaires dominantes ne donnent pas les mêmes libertés aux filles et aux garçons, que peut en faire l’Ecole et son projet égalitaire ? Est-ce aussi une question de mode qui fait que tout le monde ne voit pas la même chose derrière une tenue ? La perception par les adolescents et les adultes est forcément différente.
Le sinistère tenta il y a quelques jours, de limiter la polémique en précisant que l’expression de JMB sur la tenue « républicaine » « ne sous-entendait pas que ce sont les vêtements qui sont républicains, mais l’École qui est républicaine.» Ben voyons.
Sommé de préciser ce qu’est une « tenue correcte », la tête de gondole de la rue de Grenelle indiqua que cela consiste à « s’habiller normalement ».
Alors, jeunes de France et de Navarre, habillez-vous derechef normalement et vous serez définitivement à la mode, définitivement « in », définitivement à la page républicaine ! Bienvenus à Zacronland ! Qu’attendez-vous pour adopter l’uniforme, le gris, le conforme ! Allons zenfants de la Patrie, l’esprit punk, l’esprit rock’n roll, c’est dépassé ! Osez ne pas sortir du rang ! Osez le neutre ! Osez regardez vos chaussures ! Osez le doigt sur la couture du pantalon ou de la jupe longue ! Osez l’Ordre moral !
Le sinistre de l’économie, invité du journal de 20H, dévoile son plan de relance de l’industrie textile française : « Il y aura, dans les mois à venir, des usines qui produiront des millions de tee-shirts républicains, de jupes républicaines, de pantalons, de tricots, de vestons, de pulls républicains ! Avec des emplois républicains à la clé ! Le gouvernement s’y engage ! »
Nous finîmes nos échanges familiaux sur cette étude menée par l’Ifop, réalisée entre le 18 et le 21 septembre pour le magazine Marianne auprès d’un échantillon de 2 000 Français et dont le principal enseignement est qu’il existe un réel écart entre les générations. Les jeunes acceptant plus facilement le port de certaines tenues, à l’inverse de leurs aînés, plus frileux. À la question « Souhaitez-vous que les lycées publics autorisent ou interdisent aux filles le port des vêtements suivants dans l’enceinte de leur établissement ? », la part des personnes âgées de 65 ans et plus, en faveur d’une interdiction est presque systématiquement supérieure à la moyenne des Français interrogés. Cette proportion atteignant près de 80 % pour les tenues (tee-shirt ou robe) dites « no bra » (sans soutien-gorge) au travers desquelles la pointe des tétons serait visible. A contrario, le nombre de jeunes entre 18 et 29 ans favorable à une interdiction n’excède jamais les 50 %, sauf dans le cas d’un haut avec décolleté plongeant.
Parmi les personnes interrogées, les sympathisants du parti LR sont généralement plus prompts à interdire que le reste de la population : ils sont 61 % à se déclarer défavorables au port d’une robe moulante ou d’un vêtement serré montrant les formes dans l’enceinte scolaire contre 37 % chez les sympathisants de La France insoumise. Autre critère, les femmes sont souvent plus favorables à une interdiction que les hommes sans que ces derniers s’opposent à interdire tel ou tel vêtement. Écétéra écétéra.
Après ce repas frugal, biocommilfaut, je ne suis pas allé me coucher tout de suite, préférant écluser un petit verre de liqueur de génépi, un Dolin vert de derrière les boqueteaux. Alangui sur le sofa, je posai sur la platine de mon tourne-disque Phillips orange, « Déshabillez-moi » de la divine Juliette Gréco et je portai un toast à tous les Sans-culottes.
34 septembre 2020
Zirteq