MATER LIVES MATTER
Fait un froid de canard ce matin. Trois semaines qu’on bosse, en attendant, culs serrés, une énième décision d’un gouvernement qui rétropédale dans la semoule ; quasi un an qu’on vit sous état d’urgence sécuritaire, sociale, sanitaire, sous COVID, sous réanimation, sous sur-communication, sous mensonges éhontés. Sous mépris.
Je marche seul, comme dans la chanson, machinalement, avant d’aller au boulot, avant d’ouvrir le portail puis la porte de mon bureau et de ma classe. Je fume une Week-end, la clope des cons damnés qui voient le monde s’écrouler, partir en déroute. Et je refais les comptes.
Pour Dark Blanq, sinistre de l’Education, tout va bien. Tout le monde ferme sa gueule et il fait passer ce qu’il veut. Il est en train de réussir à transformer le système éducatif en un Meccano basique pour « 0 à 3 ans ». Celles et ceux qui voudront les zautres boîtes, n’iront qu’à aller se servir dans le privé.
Pour Dark Manin, tout rentre dans l’Ordre à grand coup de tonfas et de tweets.
Pour Dark Lemaire, il lui reste encore quelques os et pseudo-aides à jeter aux oubliés-es des crises. Et son bouquin se vend bien.
Pour Dark Véran, englué dans ses modélisations et courbes, tous les zabitants du « cher pays de notre enfance » seront vaccinés en août prochain ! Et tout va bien, merci Pfizer, merci les suivants ! Merci papa, merci maman pour les prochaines colonies de vacances !
Pour tous les autres sinistres, tout va très bien aussi, Madame la marquise. Et s’il restait des fioles de vaccins, on aura qu’à les envoyer dans les anciennes colonies où on pourra seringuer les indigènes avec des demi-doses, ça coûtera moins cher !
Quant à Zacron 1er, résident de sa République, roulé dans son col, il se mue en télévangéliste qui promet sa putain de terre promise pour le printemps ou pour va savoir quand, en filant des repas à 1 euros dans des restos universitaires… fermés, en promettant qu’il va s’attaquer au problème de l’inceste. Et à quoi d’autres encore, d’ici la fin de son mandat-là (sic) !
Tu bosses toute ta vie pour payer ta pierre tombale
Tu masques ton visage en lisant ton journal
Tu marches tel un robot dans les couloirs du métro
Les gens ne te touchent pas, faut faire le premier pas
Dans la ville transie, j’ai cette vieille chanson dans la tête, cet hymne lycéen qu’on psalmodiait dans les couloirs de notre bahut. A l’époque, acnéiques et insouciants, nous ne nous doutions pas que le monde allait trébucher de cette façon.
Je marche, doigts gourds, lèvres Labelo et je décide de passer par la rue Langevin où se trouve une des écoles maternelles de la ville, école située en Réseau d’Education Prioritaire. Une agitation surprenante, au vu des mesures de sécurité en cours, un attroupement de gens déterminés et masqués, aiguisent ma curiosité. Je change de trottoir pour rejoindre un groupe de parents et de professeurs occupés à taguer des draps blancs attachés aux grilles de l’école.
On revient à avant 2015 : on pense l’école maternelle à partir de l’entrée en CP. On se focalise sur maths, français et sciences. C’est un sacré retour en arrière qui ignore les besoins des enfants des milieux populaires dans la construction de l’autonomie langagière, dans l’apprentissage de la forme scolaire et dans la prise en compte de la globalité du développement, me précise ma collègue directrice en citant Viviane Bouysse, inspectrice générale honoraire. Résultat : on va exposer ces enfants à l’échec.
Et boum ! Encore un coup de massue derrière la tête. Je presse le pas, ouvre portail et portes, récupère un drap au sommet d’une armoire, une bombe rouillée, ficelle la banderole à la grille de l’école, faut speeder, j’entends l’écho étouffé des voix enfantines remplir les rues adjacentes. L’odeur de la peinture vaporisée me rappelle encore un passé combatif, le geste revient vite quand je tague :
« MATER LIVES MATTER »
Zirteq, 24ème jour