Little darling
« Le plus stupéfiant dans cette pandémie, c’est le mystère total qui l’entoure. Nul ne semble savoir ce qu’est la maladie, d’où elle vient, ni comment y mettre fin. »
« La masse de données statistiques recueillies dans les villes, les municipalités, les camps et les hôpitaux doit être classifiée, cataloguée et étudiée avant de pouvoir parler de finalité ou d’efficacité des mesures de contrôle entreprises. »
« Nulle maladie n’est plus difficile à étudier qu’une grippe pandémique. Elle survient, se propage et disparaît avec une soudaineté sans équivalent. Elle porte en elle une énergie si terrifiante que ses apparitions ne laissent que peu de temps à une analyse attentive et méticuleuse. Son extinction aussi bien que sa haute prévalence sont autant d’obstacles à son analyse. »
« Or, pourrait-on se demander, la grippe disparaît-elle totalement dans les intervalles entre chaque épidémie ? »
Une nouvelle semaine de classe. Passée vite. Après cette période de fêtes bizarre, j’avais hâte de retrouver enfants, familles et collègues. Pas trop le temps de penser à quoi que ce soit de plus. Un peu sur un nuage ou dans des vapes. Mais les deux pieds bien ancrés dans une nouvelle année qu’on espère moins prédatrice, moins implacable que 2020. On cherche ses mots devant le portail pour se souhaiter une belle (?), une heureuse (?) année, on baisse les yeux et la tête, on s’effleure de pudeur. Le nouveau monde espéré, promis n’apparaît pas. Je l’entends cracher ses poumons tout autour de nous. Quant à l’ancien monde, il est pris d’agitations, de convulsions respiratoires, politiques, sociétales inquiétantes mais il ne crève pas, il n’abdique pas. A l’image de ce fou qui harangue cette foule devant le Capitole. A l’image de ces fous qui continuent de massacrer ces foules dans toutes ces capitales. A l’image de ces folies qui ne capitulent pas.
Et il y a ce petit livre, mince opus que quelqu’un a déposé dans notre boîte aux lettres à l’orée du week-end. Texte court dont je sors quelques extraits, quelques lignes qui n’ont pas été écrites en 2020. Non.
L’auteur de ses lignes en italiques, est ingénieur et épidémiologiste américain. Il s’est illustré en identifiant Mary Mallon, comme le premier humain porteur sain de la fièvre typhoïde.
C’était en 1907.
L’auteur de ses lignes, cet ingénieur et épidémiologiste s’appelle George A. Soper et il publie « Leçons d’une pandémie »*, en 1919. Histoire de tirer les leçons de la grippe espagnole de 1918, la plus sévère pandémie de l’histoire.
Je reste pantois devant la modernité de ce texte tandis que retentit la sirène qui avertit les habitants de la ville, plutôt ceux de la zone C – celle où nous résidons -, qu’ils doivent se rendre au vaccinodrome géant ? édifié dans le parc municipal où les étourneaux ne reviennent plus.
Lors de ses vœux, le Résident de la République, flanqué du premier sinistre et de celui de la Santé, décréta que tous les citoyennes et les citoyens du « cher pays de notre enfance » devaient se rendre dans les centres de vaccinations gouvernementaux dès lors qu’une alerte sonore les y inviterait. C’est donc jour de sirène stridente. C’est le jour J. C’est notre tour. Tous les agents oranges de la Sûreté nationale flanqués de leurs chiens muselés, tous les contrôleurs sanitaires, tous les miliciens sont mobilisés.
Je réveille femme et filles. Nous enfilons nos combinaisons intégrales de protection, prenons nos attestations de vaccinations et, selon un itinéraire défini, traversons le quartier aux trottoirs plexiglassés, encadrés par les Playmobils du Pouvoir. Si jamais nous nous soustrayions à cette procédure, nous serions rapidement convoqués dans un commissariat de lutte contre la subversion. Si jamais nous nous faisions porter pâles, nous serions rééduqués dans des structures spéciales à la périphérie de la ville.
Il y a treize ans, les premiers vaccinodromes apparurent, durant la crise de la grippe H1N1. Ces centres de vaccination collective géants installés dans des halls sportifs et autres grosses structures, refusèrent à l’époque, la présence et l’aide des médecins libéraux. Résultat, les gens perdirent confiance dans les vaccins. Ainsi naquit le mouvement « antivax ».
En obligeant les gens à se faire piquer dans l’épaule de manière massive, militaire, Zacron 1er veut éviter le retour de ce phénomène, alors que déferlent sur le pays, des variants multiples d’un coronavirus qui contaminent foules et fous, sans aucune distinction.
« Respirez par le nez, et non par la bouche – c’est pourquoi il a été fait. » note George A. Soper, en reprenant une des douze règles recommandées par le chef des services de santé de l’Armée américaine et publiées sur ordre du secrétariat de la Guerre.
C’était il y a plus d’un siècle.
En arrivant au centre de vaccinations, baptisé « REXidium », aveuglés par des projecteurs puissants, nous sommes passés au scanner thermique et désinfectés des pieds à la tête comme des centaines d’autres personnes dont certaines se mettent à trembler, à convulser, à devenir folles.
Alors, nous nous regardons, mes filles, mon épouse et moi et nous commençons à fredonner « Here comes the sun » des Beatles. Alors, nous nous prenons par la main et commençons à rebrousser chemin. C’est à ce moment-là qu’un coup de sifflet nous stoppe net et que des molosses démuselés nous confinent dans un coin du hangar.
C’est à ce moment-là que je me réveille, en sueur, que j’écarte brusquement les rideaux de notre chambre, que je regarde au loin, vers l’étang et le parc. C’est un matin d’hiver comme plein d’autres matins d’hiver. Des étourneaux retardataires finissent de rejoindre des tropiques.
Je vérifie que nos filles dorment à poings fermés puis je descends au salon, pose le vinyle sur le plateau du tourne-disque. Et je savoure en oubliant les rumeurs sombres d’un monde contre lesquelles je pensais être vacciné.
« Little darling, it’s been a long cold lonely winter
Little darling, it seems like years since it’s been here »
Zirteq, 9ème jour
* Leçons d’une pandémie, de George A. Soper, éd. Allia