Les manteaux sont des lieux de culture
C’est parti, le Résident de la République, qui a encore causé dans le poste hier en prime time, a rouvert les vannes, lâché les chiens, donné son absolution pour que les habitants du « cher pays de son enfance » profitent des fêtes de Noël en famille de six pas plus, plantent au centre du salon un Norman phosphorescent, s’empiffrent de foie gras, huîtres, chapons et bûches.
Le « Jacques a dit » national servi depuis des mois est effrayant mais il fait ses preuves. Les gens sont tellement contrôlés, pistés, testés, enfumés, entubés, chloroformés, épuisés, conditionnés qu’ils en viennent à se raccrocher à toutes les petites fleurs que leur octroie le Pouvoir : promener un teckel à poil ras, randonner à un kilomètre de son domicile, visiter un aïeul mais pas trop longtemps, acheter un verre de kir royal sur internet, accepter le report du « black friday ». Et les gens -nous- d’oublier les milliers de pauvres de plus, les vieux qui crèvent dans les Ehpad, les patients qui crèvent d’autre chose que la Covid, les migrants qui crèvent à moins d’un kilomètres de chez nous.
Aquoibon broncher puisque tout ou presque redevient essentiel. Les gens qui consommaient et stockaient depuis des semaines produits surgelés, produits d’alimentation générale, de toilette, d’hygiène, d’entretien, de puériculture, carburants et combustibles, équipements de l’information et de la communication, détail d’ordinateurs, d’unités périphériques et de logiciels, détail de matériels de télécommunication en magasin spécialisé, détail de matériaux de construction, quincaillerie, peintures et verres en magasin spécialisé, détail de textiles, journaux et papeterie, produits pharmaceutiques, médicaux, optiques et orthopédiques, graines, engrais, animaux de compagnie et aliments pour ces animaux de compagnie, produits à base de tabac, cigarettes électroniques, matériels et dispositifs de vapotage, vont désormais consommer et stocker dans leur caddie de base, livres, CD et DVD, jouets, habillement, fleurs, décorations et arts de la table, meubles, appareils électroménager, bijoux jusqu’à l’annonce d’une nouvelle vague, d’un nouveau pic ou plateau de contamination qui amèneront les sinistres à venir leur tirer les zoreilles, leur taper sur les phalanges en éructant : « On vous avez prévenu, on vous donne ça et vous prenez ça, allez on siffle la fin de la récré, vous voyez bien les chiffres qu’on vous montre, on est dans le rouge, allez «Jacques a dit » tout le monde rentre chez soi ! »
Et de rejouer à « 1,2,3 soleil » jusqu’à la énième allocution résidentielle.
Dès aujourd’hui, nous ferons la queue devant les magasins spécialisés d’État qui remplacent, doucement mais sûrement, les commerces d’antan. Dans ces boutiques, plus une seule marque hormis « LEX » la marque résidentielle, logo gris « navire de guerre », frappé du sceau jupitérien, un aigle tenant en son bec la foudre. C’est ce qu’ affiches de propagande et slogans publicitaires nous promettent : un monde meilleur sous cloche.
Nos rues, nos environnements, nos quartiers sont en train de se transformer. Je ne perçois plus de cris d’enfants dehors, les mercredis ou les week-end. Les seuls bruits, les derniers jeux spontanés, innocents sont ceux qui persistent dans nos cours d’école, ultimes sanctuaires pour la rêverie et encore. Le nouveau protocole sanitaire est si contraignant qu’il nous oblige à cloisonner de plexiglas des zones individuelles de mouvement. La cour de l’école Emile Glay ressemble ainsi à un immense « Palais des glaces » échappé d’une monstrueuse fête foraine.
Comme les rues, jardins, squares de Contignies-lès-Mormeilles sont déjà cloisonnés de plexiglas, les façades récemment crépies de gris « navire de guerre », les intersections quadrillées de guérites et de miradors municipaux sortis de l’asphalte comme autant de champignons de sécurité, une nouvelle architecture organise nos vies, tous nos déplacements, tous nos sentiments.
Les patrouilles d’agents oranges de l’USI et leurs essaims de drones filment, passent au kärcher tout ce qui bouge, écrasent toutes les cages thoraciques, étouffent tous les moutons noirs qu’elles veulent, détectent tous les mensonges, les mauvaises pensées, les jurons refoulés. Bienvenus dans le meilleur monde sous cloche.
Le gouvernement empile lois sur la sécurité globale, lois sur la liberté d’inexpression, lois sur la vaccination obligatoire de la population, lois iniques qui compactent nos faits, paroles et gestes ; faits, paroles et gestes que nous devrons consigner , une nouvelle loi est en cours de rédaction, chaque jour sur un registre individuel de « relatement » qui sera examiné par des robots panoptiques.
Une main sur mon épaule. Mon épouse et nos filles sont prêtes. J’enfile mon gros manteau dans la doublure duquel, j’ai cousu des dizaines de poches. Ma femme et nos filles ont aussi enfilé le leur.
Nous nous masquons, fébriles, sortons en file indienne et suivons un itinéraire précis, pavlovien, révisé depuis plusieurs jours. Il ne faut surtout pas éveiller les soupçons. Nous savons que ce matin, nous ne serons pas les seuls à rejoindre, discrètement, les bords de l’étang municipal où il faudra se croiser et faire vite, entre Ignycontaines et Ignycontains résistants, pour échanger, se passer sous les manteaux livres, disques, photographies, revues, objets, films et autres traces et témoignages de passés en voie d’extinction.
C’est alors que nos deux filles se mettent à fredonner « Here comes the sun » des Beatles, à la manière d’une délicieuse comptine, petit pied de nez, petite fleur sauvage lancée à la face de ceux d’en-haut. Je kiffe.
85 septembre 2020 Ziteq