le
XVIII° siècle (au moins), un mouvement – de
pensées et de pratiques – permet peu à peu aux
personnes en situation de handicap de prendre leur place dans la
société. L’Ecole fait partie
intégrante de ce mouvement; ainsi de plus en plus d’enfants
qui jadis seraient restés chez eux ou se seraient
retrouvés en institution spécialisée
fréquentent les écoles et
établissements scolaires ordinaires.
Mais ce
mouvement n’est pas continu. Comme toute évolution sociale,
il entre en résonance avec les principes
macro-économiques en cours – en l’occurrence, pour ce qui
concerne ces dernières années et s’agissant d’un
service public : avec les contraintes européennes et la
Révision Générale des Politiques
Publiques (RGPP) qui en découle, visant à
réduire le poids de la dépense publique en
mettant les administrations en concurrence les unes avec les autres.
Cette concurrence est évidemment absurde du point de vue du
contribuable : car au final, c’est toujours lui qui paie. Mais elle est
surtout délétère en termes de
politique publique, notamment pour ce qui concerne les personnes en
situation de handicap.
C’est
ainsi qu’on voit globalement les ministères se
défausser sur les échelons territoriaux; et
localement les Agences Régionales de Santé (et
avec elles le secteur sanitaire et le secteur
médico-social), les Conseils départementaux, les
services déconcentrés de l’E.N. tenter de se
refiler les patates chaudes.
La
liberté, l’égalité, la
fraternité commandent que tous les enfants puissent
être accueillis dans l’école de leur quartier. Le
principe en a été rappelé dans la Loi
de 2005. Mais strictement définie,
l’égalité c’est « De chacun selon ses moyens,
à chacun selon ses besoins ». Or s’agissant d’enfants en
situation de handicap, à besoins éducatifs
particuliers, l’égalité d’accès
suppose en effet des moyens particuliers qui ne relèvent pas
tous de l’Education nationale, mais mettent en jeu le sanitaire, le
médico-social, le département, la mairie… Il
revient à la MDPH (émanant du Conseil
départemental) d’en faire l’évaluation. A titre
d’exemple, dans notre département, plus de la
moitié des élèves que celle-ci a
notifiés pour un SESSAD¹ ne
bénéficient pas effectivement de cet
accompagnement. A défaut, ces enfants sont
réorientés vers le secteur libéral et
les CMP, obligés devant l’afflux des demandes de diluer leur
offre de soins. Les
redéploiements budgétaires ont très
clairement trahi les enfants les plus fragiles dans leur
accès au service public d’éducation.
Durant les
dernières décennies, l’Education nationale a
progressivement élevé le niveau de recrutement de
ses instituteurs, recrutés en fin de 3° puis au bac,
puis au DEUG, puis à la licence, devenant alors professeurs
des écoles. Mais la part du PIB consacré
à l’Education a stagné depuis 35 ans entre 6,5 et
7%. RGPP oblige, il a donc fallu faire des économies tous
azimuts : ainsi, la réduction massive de la formation
initiale et la suppression insidieuse des RASED ont pu être
prétextées par le recrutement à la
licence et par la prétention que l’école soit « son propre recours ». Au prix d’une
négation flagrante des besoins : pour ne pas laisser trop
d’élèves au bord du chemin, il est au contraire
capital de former les enseignant-e-s à la
pédagogie (comment en arrive-t-on à devoir
rappeler cette évidence!?) et de mettre en oeuvre des
approches plurielles. Les RASED l’ont abondamment prouvé :
rien n’est plus illusoire que la férule du Maître
Tout Puissant dans sa classe. Les redéploiements
budgétaires ont très clairement trahi les
élèves en difficulté scolaire
ordinaire dans leur accès aux apprentissages.
La belle
idée de l’école inclusive se trouve ainsi
attaquée de toutes parts par ses promoteurs officiels : en
ne fournissant pas les aides internes à l’école
pour aborder les difficultés ordinaires ni les aides
extérieures pour compenser les handicaps, ils mettent
à mal l’école pour tous et toutes et la
trahissent sur l’autel des contraintes budgétaires. La
récente refonte de la formation
spécialisée est le dernier avatar de cette
mystification : le Certificat d’Aptitudes Professionnelles aux
Pratiques de l’École Inclusive (CAPPEI) se drape jusque dans
son titre derrière la bannière de
l’école inclusive. Mais dans les faits, c’est une formation
au rabais² réduite en temps de 25%,
particulièrement indigente concernant la
difficulté scolaire ordinaire, confondant aide
pédagogique et aide rééducative – et
sans contenu spécifique pour le 2nd degré. Voyez
à ce sujet l’analyse
qu’en fait la CGT Educ’Action. La baisse continue,
d’année en année, du nombre de départs
en formation achève le tableau de ce
désinvestissement programmé.
Faute
d’ambition et de moyens à la hauteur de l’ambition, l’appel
de la ministre à l’école inclusive n’est plus
qu’un gargarisme incantatoire et culpabilisant. Si le mouvement
général vers l’école inclusive se
poursuit malgré tout, c’est bel et bien le fait du travail
opiniâtre des équipes (pédagogues,
soignant-e-s, familles). A la CGT, nous accompagnons et continuerons
d’accompagner dans la mesure de nos moyens les collègues mis
en difficulté par les carences institutionnelles et nous
continuerons de porter au plus haut niveau les exigences du terrain.
(1) Service d’Education et de Soins Spécialisés A
Domicile
(2) En tout cas pour ce qui concerne le 1er degré; dans le
2nd degré, l’ancien 2CASH était moins ambitieux
encore.