Le saviez-vous ?
L’Éducation nationale expérimente dans dix départements son propre manuel de lecture ; ça s’appelle : « Pour apprendre la lecture et l’écriture au CP ».
Je viens de voir ça, en surfant sur le site du « Calva pédagogique ». Je zieute alors le rayon de l’étagère dédiée au boulot : les guides sinistériels commencent à prendre de la place.
La faute à Dark Blanq, qui entretient une monstrueuse appétence pour les évaluations et les méthodes d’apprentissage. Qui se fait éplucher par des nervis àsabotte toutes les enquêtes PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves) et PIRLS (Programme international de Recherche en Lecture Scolaire) possibles. Et la dernière de PIRLS – ça tombe bien – montre que les écoliers français se situent dans la moyenne des pays de l’OCDE pour le décodage mais pèchent en matière de compréhension des textes.
Une aubaine pour le sinistre de l’Instruction, ardent défenseur d’une méthode syllabique « stricte » pour la lecture, à l’initiative d’un « guide orange » de 130 pages, rédigé par la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO), qui l’été dernier, sélectionne plusieurs départements pour accueillir cette expérience de manuel de lecture sinistériel, élaborée par une équipe de l’académie de Paris (une IEN et trois conseillères pédagogiques). Bouches-du-Rhône, Oise, Jura, Ardèche, Eure-et-Loir, Corse-du-Sud, Yvelines, Réunion, Pyrénées-Orientales et Paris sont donc les heureux zélus, soient 350 classes et environ 10 000 élèves concernés.
Le conseil scientifique qui pondit, fin 2019, un rapport d’analyse d’une dizaine de manuels de lecture disponibles sur le marché, en collaboration avec l’académie de Paris, avait retenu, à l ‘époque, deux manuels conformes aux exigences sinistérielles, défendant la méthode syllabique stricte, c’est-à-dire une méthode qui ne délivre aux enfants que des mots qu’ils peuvent déchiffrer à cent pour cent. 100 %, c’est l’objectif de réussite assigné à tous les enseignants-es de CP de France et de Navarre par Dark Blanq, ça retombe encore bien. A noter que les 10 000 élèves cités plus haut, seront évalués en 2022 sans comparaison avec aucune autre méthode.
Dark Blanq poursuit donc son offensive en faveur des neurosciences, des expérimentations, des instructions de plus en plus précises données aux enseignants-es, obsédé qu’il est, par cette farouche volonté de cadrer notre travail et de nous mettre au pas.
Pour Roland Goigoux, professeur des universités en sciences de l’éducation et spécialiste de la lecture, « l’objectif majeur de cet expérimentation est d’étudier comment se déploie cette méthode pour préparer sa généralisation à toute la France. Il ne s’agit pas de l’évaluation de l’efficacité de la méthode. Des équipes de recherche vont étudier les pratiques des enseignants-es par des observations ou des entretiens pour savoir comment se passe la mise en œuvre de la méthode, l’appropriation est le mot-clé. »
Et de continuer : « Le projet politique est de prouver qu’une méthode syllabique stricte est efficace et généralisable pour imposer ensuite aux éditeurs de la cloner. C’est totalement inédit. »
Le chercheur insiste également sur le fait que le sinistre se concentre sur la lecture au CP parce qu’il est incapable de concevoir l’équivalent en mathématiques, en histoire ou en grammaire. Trop complexe.
Je comprends mes collègues, je comprends nos discussions méridiennes où s’expriment ressentis, sentiments, ressentiments de devenir des opérateurs/trices, des agents d’exécution. Où érupte cette putain de sensation qu’on nous pousse dans un entonnoir, mois après mois, saoulés-es de circulaires, de directives, de plans « français/maths », de tests de positionnement, de visites à l’arrache avec obligation de réinvestir ce qui a été ingurgité trois jours avant, lors d’une animation power point de trois plombes. Avec ce foutu logo « l’école de la confiance » dans un coin de l’écran, à nous narguer. Œil de Sauron.
L’entonnoir, c’est le couloir de la mort annoncée de la liberté pédagogique, cet « héritage structurel du système scolaire », qui a toujours été le signe de la confiance témoignée aux enseignants-es. Sa mention a toujours fait partie des textes officiels. Et ce qu’est en train d’opérer Dark Blanq, en toute impunité, c’est la dépossession de l’autonomie, des responsabilités professionnelles, des idéaux individuels et collectifs, des utopies des « hussards de la Républiques ».
Armé de sa gomme Mallat ‘échappée d’un cartable sépia en carton bouilli), le sinistre de l’Instruction est en train – comme il l’a fait pour la lettre de Jean Jaurès que nous devions lire le 2 novembre dernier – d’effacer, de biffer tout ce qui exprime une idée d’émancipation dans le système éducatif du « cher pays de notre enfance ». Il a donné son nom à une loi d’orientation, il se tamponne des résistances du terrain qu’il balaie d’un revers de COM quand il passe sur un média servile.
Il est sept heures. Le mode d’avant tourne toujours. Hier, fut un « Black friday » reporté, Hier, VGE nous a dit un « Au revoir » définitif, hier, Zacron 1er a parlé aux djeunes sur une chaîne télé que lui est sa clique abhorre mais « faut bien regagner de l’audimat, faut bien faire moderne ». Hier, premier sinistre, après avoir interdit toute montée en tire-fesses dans les alpages de France et de Navarre, a interdit aux gens – plus précisément 8 % du peuple – d’aller « faire le chasse-neige », d’aller slalomer, schlusser, d’aller se faire péter un fémur ou une clavicule, d’aller sniffer de la poudreuse sur des pentes suisses ou autrichiennes. Et pour les réveillons, ça s’ra six personnes pas plus !
Il est sept heures, je m’habille, me masque chirurgical, me munit d’une attestation de déplacement, prend dans le vide-poche quelques tickets alimentaires, dans la rue, un vent glacial et noir m’anesthésie, je suis les flèches jusqu’à la boulangerie LEX, un milicien contrôle mon taux de colère, je simule, son chien me renifle l’entre-jambe, j’entre dans le magasin, commande la baguette du « Résident », quatre croissants – car il n’y a que des croissants et des baguettes « Résident » – , tends mes tickets, sors, un autre milicien teste mon taux de satisfaction, son chien lui sniffe l’entre-jambe. Putain de société.
Dans la tête, j’ai « Winter in America » de Gil Scott Heron qui tourne en boucle avec le solo de flûte traversière à la fin et la ligne de basse et ça, ça me fout un bien terrible.
Zirteq, 99 septembre 2020