Le dernier des Pangolins
Chroniques
Tout ça me méga-bassine
Foi de Contino-Mormeillois, on n’avait jamais vu ça. Une pénurie d’eau. Rien, nada, ouelo dans robinets, tuyaux, canalisations, bassins de rétention pendant dix jours. Conséquences : ruée vers les supermarchés pour les paranos, camions citernes qui sillonnent les rues, danses de la pluie de militants écolos, armée réquisitionnée autour des châteaux d’eau, des réservoirs, police qui verbalise laveurs de berlines ou remplisseurs clandestins de jacuzzis. Dix jours de tension avec, à son mitan, la présentation par le Résident de la République, du « Plan pour une gestion résiliente, sobre et concertée de la ressource en eau. » 53 mesures égrenées, dans un silence haut-alpin, puisque les manifestants qui manifestaient à cors et à cris, avaient été refoulés dans un lointain alpage, encerclés par la BBROUTE (Brigade des Bergers Républicains de l’Ordre Unitaire des Territoires Enervés) et leurs molosses de Rhodes.
Pour synthétiser la pensée résidentielle, voilà ce que j’ai, humble pangolin spectateur, retenu :
- – 10 % d’eau prélevée en moins dans le pays, baptisé « Plan de sobriété » qui concernera tous les secteurs, sur le modèle de ce qui a été fait dans l’énergie avec, d’ici l’été, une campagne de communication grand public.
- – 10 % de réutilisation des eaux usées, contre moins de 1 % aujourd’hui, avec le lancement de1 000 projets en cinq ans, pour recycler et réutiliser l’eau.
- – Rehaussement de 475 millions d’euros par an des moyens alloués aux agences de l’eau.
- – Aides aux collectivités conditionnées à des objectifs de performance de gestion de leur patrimoine.
- – Généralisation de la tarification progressive et responsable de l’eau, sur le modèle de ce qui est déjà expérimenté dans certaines communes depuis 2017.
- Développement des stockages artificiels d’eau pour les agriculteurs, du type de celui de Sainte- Soline, Zacron 1er précisant d’abord qu’ Il ne s’agit pas de privatiser l’eau ou de permettre à certains de se l’accaparer, l’eau étant indispensable à notre souveraineté alimentaire et ne pouvant pas s’empêcher, dans la foulée, d’émettre le vœu -en bon père la Morale- que les Français fassent preuve d’autant d’efforts pour économiser la ressource hydrique qu’ils l’ont fait à l’égard de l’énergie cet hiver.
Lendemain de discours. Je me lève, avale un bol de flocons de fourmis, prends mon écharpe rouge et me rends aux archives municipales afin d’avoir une opinion plus limpide sur cette question si complexe de « l’Eau ». Dans la salle de lecture, je bassine de ma langue le bout d’une griffe, commence à compulser les documents remis par un employé au pull jacquard à col cheminée et note sur mon Moleskine ligné :
- 1778 : création de la Compagnie des eaux de Paris.
- 1789 : avec la Révolution française, la production et la distribution d’eau potable relèvent désormais de la responsabilité des communes.
- 1830 : à la suite d’épidémies de choléra puis de typhoïde, la qualité de l’eau distribuée devient un enjeu majeur de santé publique opposant médecins, producteurs et politiciens.
- 8 avril 1898 : première grande loi qui organise les différents usages de l’eau qui se sont largement développés avec la révolution industrielle. Il s’agit aussi de veiller à ce que tous les agriculteurs puissent avoir accès à cette ressource.
- 1964 : loi sur le régime et la répartition des eaux dans chaque département et la lutte contre la pollution. Le territoire français est divisé en six grands bassins hydrographiques.
- 26 avril 1990 : comité interministériel sur l’eau consacré à la mise en place d’un plan contre la sécheresse. Michel Rocard, Premier ministre, annonce cinq mesures : création d’une cellule nationale de crise qui se réunira en cas d’urgence ; signature d’une convention nationale avec EDF qui s’engage à mettre ses réserves hydrauliques à la disposition des usagers en cas de besoin ; procédure simplifiée pour le lancement de travaux destinés à augmenter les ressources en eau ; campagne d’information afin d’inciter la population à économiser l’eau ; demande d’aide communautaire pour les agriculteurs contraints d’abandonner les cultures irriguées.
- Juillet 2016 : publication du rapport de Rémy Pointereau qui fait état de difficultés dans l’application du principe de continuité écologique et la préservation de l’eau potable.
Je passe la journée à parcourir de nombreux textes, en me demandant si Le Résident de la République veut profondément faire avancer le schmilblick. 2 000 communes ont connu des problèmes d’approvisionnement en 2022, dont 340 ont été ravitaillées par camions citernes et 200 avec des bouteilles d’eau. C’est ce qui nous est donc arrivé à Contignies-Lès-Mormeilles.
Sur les réseaux, les réactions ne tardent pas. Pour l’association Départements de France, ces derniers pourront enfin avoir le droit de produire de l’eau potable. Intercommunalités de France salue la décision résidentielle de mutualisation des politiques de l’eau pour faire face à l’urgence climatique et d’aide aux communes isolées. L’association des élus des grandes villes, agglomérations et métropoles approuve la mise en place d’un « Ecowatt de l’eau » visant à responsabiliser son usage et l’annonce visant à faciliter la réutilisation des eaux usées. Amorce, qui constitue le premier réseau national de collectivités territoriales et d’acteurs locaux engagés dans la transition écologique, souligne l’ambition du plan, même s’il faut, désormais, une mise en œuvre rapide sur le terrain. Les associations environnementales accueillent de manière plus contrastée les mesures, en confirmant que pour un certain nombre de celles-ci, cela correspond à la réactualisation et à la mise en œuvre d’éléments de planification qui existaient déjà. Le WWF constate que le Résident de la République évoque une transformation du modèle agricole sans en donner le contenu ni tout le financement. L’ONG Générations futures regrette, quant à elle, l’absence de mesure forte sur les pollutions agricoles et industrielles. Enfin, pour l’Association nationale de défense des consommateurs et usagers, « les usages de l’eau soutenables dans les prochaines années, seront ceux qui auront permis de réduire et supprimer l’artificialisation, les ruissellements et l’érosion des sols, les surconsommations, l’utilisation raisonnée des eaux usées traitées et des eaux pluviales, les inégalités entre les zones rurales et urbaines en matière d’adduction d’eau et d’assainissement.
Zacron 1er, pour être crédible, doit vite passer à l’acte mais ses déclarations s’inscrivent dans un contexte délétère qu’illustrent les évènements brutaux survenus à Sainte-Soline. En un week- end, cette commune d’environ 360 âmes est devenue le théâtre (le symbole ?) d’une lutte sanglante entre militants écologistes et agriculteurs d’un côté, et forces de l’Ordre de l’autre. Soline vient du latin Solemnia qui signifie « fête » ou « cérémonie religieuse », Sainte Soline étant une vierge et martyre
originaire du Poitou, canonisée par l’Église catholique et fêtée le 17 octobre. La fête fut bien gâchée.
Au fond du jardin de la meulière, dès mon arrivée, mes parents adoptifs avaient aménagé un hôtel à termites, disposé une souche creuse où je peux me lover en toute tranquillité et semi- enterré une bassine, ce « récipient large et profond, en métal ou en matière plastique, servant à divers usages domestiques » dixit tonton Le Robert, pour que je puisse me rafraîchir les jours de canicule. Avec le changement climatique, le cycle de l’eau connaît d’importantes modifications : épisodes répétés de sécheresse, diminution du niveau des nappes phréatiques, changement du rythme des pluies. A l’échelle d’un pangolin, l’installation d’une micro-bassine n’a aucune incidence néfaste sur l’environnement mais à l’échelle d’un département, d’un territoire, l’éclosion de plusieurs dizaines de méga-bassines constitue une ineptie écologique.
Une méga-bassine, c’est un réservoir d’eau géant, artificiel, plastifié, imperméable, de la taille d’une dizaine de terrains de football qui s’étend sur plusieurs hectares et contient l’équivalent de 300 piscines olympiques. Contrairement aux réserves « collinaires », alimentées par le ruissellement des eaux de pluie, l’eau d’un tel bassin est, soit pompée dans les nappes phréatiques, soit prélevée dans les cours d’eau. Sainte Soline se retrouve ainsi au centre d’un projet controversé de construction d’une « méga-bassine » de 650 000 m3 et au centre d’une actualité brûlante dont le fil rouge est le climat de tension qu’aime à entretenir, l’actuel sinistre de l’Intérieur qui voit des terroristes partout et envoie, sur tous les territoires à « reconquérir », ses compagnies culs sur quads ou motos qui, des Deux-Sèvres aux quartiers Nord de Marseille, font chauffer grenades, boucliers et tonfas, afin de contenir les périls variés suivants : jeune, paysan, zadiste, djihadiste, ultras dont on ne sait plus quoi… qui dézinguent le cher pays de nos enfances.
Pour Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS : « C’est un contresens de créer des réservoirs d’eau en surface. L’eau récoltée dans les réservoirs, c’est de l’eau qui aurait dû se retrouver dans les sols ou dans les cours d’eau. ». Il déplore un assèchement des sols, un cycle écologique brisé sur le long terme et une évaporation de l’ordre de 20 à 60%. La qualité de l’eau ainsi stockée, pourrait aussi être affectée par le phénomène d’eutrophisation et l’apparition de bactéries et de micro-algues. « Elles (les méga bassines) servent avant tout les intérêts des acteurs agro-industriels, au détriment de solutions locales et paysannes. En subventionnant ces ouvrages, les pouvoirs publics contribuent encore à l’industrialisation de l’agriculture et à un usage accru d’engrais chimiques et de pesticides… Autant de substances qu’on retrouve par la suite dans le milieu naturel », documente l’association Greenpeace, sur son site. La nuit enveloppe la ville. A dix mille kilomètres de mon écosystème natal, enroulé dans une bassine vide, je pense à l’appropriation par l’homme, depuis la nuit des temps, de cette Nature exploitée, saignée qui disparaît si vite, qui n’a plus le temps de souffler. Contrarié, je ne trouve pas le sommeil. A deux heures du matin, un violent orage éclate. Je remplis ma bassine, c’est toujours ça de pris.
10 avril 2023