Le dernier des Pangolins
Chroniques
Les milieux autorisés
Dans un article récent, Jacques Rancière écrivait ceci : « […] Dans les dernières semaines, Emmanuel Macron et ses ministres ont sciemment franchi trois lignes rouges devant lesquelles ses prédécesseurs s’étaient arrêtés. Ils ont d’abord imposé une loi que la Chambre n’avait pas votée et dont l’impopularité était manifeste. Ils ont ensuite apporté leur appui inconditionnel aux formes les plus violentes de la répression policière. Ils ont enfin, pour répondre aux critiques de la Ligue des Droits de l’Homme, laissé entendre que les associations d’intérêt public pouvaient voir leurs subventions supprimées si elles émettaient des réserves sur l’action gouvernementale. »
Hier, encore lové dans ma souche quatre étoiles sise dans le jardin de la meulière mormeilloise, j’allumai mon transistor et tombai sur une radio locale qui programme chaque matin un sketch de Coluche. « Il est 5 heures, Contignies s’éveille, alors pour aller turbiner du bon pied, Radio Nizos vous offre encore cette pépite ».
- Le sketch commençait comme ça : « Mais on s’autorise à penser dans les milieux autorisés… Alors ça ! Le milieu autorisé c’est un truc, vous y êtes pas vous hein ! Vous êtes même pas au bord. Vous y êtes pas du tout. Bon, le milieu autorisé c’est un truc. C’est un endroit autorisé où il y a plein de mecs qui viennent pour s’autoriser des trucs mais y a que le milieu qui compte. Et là-dedans y a une poignée de connards qui tournent en rond en s’autorisant des trucs :
– « Euh… Qu’est-ce que tu fais là ? » - – « Ben j’sais pas, j’vais peut-être m’autoriser un truc, mais c’est vach’ment gonflé. J’hésite ! Euh… ».
C’était déjà dans l’air du temps des années 80. L’humoriste avait su capter ce verrouillage des décisions par les gens d’en-haut. Comme quoi Zacron 1er et consorts n’ont rien inventé. Sur les réseaux sociaux, j’ai même lu le témoignage des premiers pangolins exilés en Occident, férus d’histoire et à l’âme d’archivistes, qui évoquent cette locution donnée aux divers porte-parole plus ou moins occultes d’un gouvernement, et de citer les extraits suivants :
« Un journal parisien a publié la nouvelle que l’Allemagne aurait proposé à l’Angleterre la cession des colonies portugaises et d’une partie du Congo belge. Les milieux autorisés déclarent que ces nouvelles sont fausses. » (Bulletin des séances de l’Académie royale des sciences d’outre-mer, Bruxelles, 1938, vol. 9, page 561)
« A Bonn, on laisse entendre, dans les milieux autorisés, que le Gouvernement Fédéral se réjouit sincèrement de la fin prochaine des difficultés que la France a connues en Algérie et également de ce que désormais, elle pourra se consacrer plus largement à son rôle en Europe. » (Bureau des documentations libanaises et arabes, 1962, n° 13-24, page 18)
Ce sentiment que le Pouvoir confisque la vérité est de plus en plus partagé et les derniers événements survenus – réforme des retraites, maintiens brutaux de l’Ordre, mensonges éhontés-répétés, stratégies communicationnelles assumées, mépris de ce qu’éprouve le peuple, déni, là aussi assumé, des souffrances au quotidien de millions de citoyens – met en évidence la question de l’accès à la parole publique de tous, par tous et pour tous.
Zacron 1er, entouré d’une minuscule garde rapprochée, est bien esseulé dans sa rase campagne. Il s’est coupé, en les affaiblissant, des corps intermédiaires, de son électorat, de l’opinion publique. Ses députés ont une feuille de déroute impossible à défendre. Suite à l’allocution résidentielle en prime time, un premier cap à suivre priorisait « Transition écologique, Santé, Education. Surgit une autre mouture, floquée de la trilogie « Travail, Ordre, Progrès ». Foutaises. Foutoir. Aux députés de la majorité de répandre la bonne parole sur leurs territoires, face aux vrais gens.
L’exécutif est devenu une sorte de Start Up à slogans. Aux couleurs et aux relents conservateurs.
« […] Comment s’étonner dès lors, comme l’écrit Edgar SZOC dans un article intitulé « Penser sans autorisation » (2018), de la prééminence du registre de l’indignation dans la manière dont les « citoyens lambda » s’emparent de cette possibilité nouvelle de dire « leur » vérité sur le monde ? »
Le discrédit généralisé de la sphère politique enfle de jour en jour, les paroles et les langues se délient, pour le meilleur et souvent, hélas, pour le pire sur les réseaux sociaux et asociaux. Mais l’indignation, l’exaspération débordent à l’air libre, dans des rassemblements spontanés, des protestations citoyennes où le son nomade des casseroles, à l’instar du grondement des tams-tams, des échos de conques ou de cors alpins, propage un message on ne peut plus clair aux milieux autorisés :
« Plus jamais ça ! »
27 avril 2023