Le dernier des Pangolins. Chroniques. Game of drones
Après un mandat de six années, un hiver rigoureux s’abat sur la République avec la promesse d’un avenir des plus sombres. Complots et rivalités se jouent dans l’hexagone pour s’emparer du Drone de Fer, symbole, désormais, du pouvoir absolu.
A l’assemblée, les représentants des partis du Nord, de la Montagne et du Val, des Rivières et des Collines, du Roc, du Bief, des Terres de l’Orage, de Dorne se regardent en dragons de faïence. Zacron 1er a du mal à canaliser ses troupes, perplexes devant les mesures prises, renforçant le contrôle du cher pays de nos enfances, par la prolifération de drones dits de la Surveillance et de la Sûreté nationales. Le ciel est ainsi devenu la chasse gardée de dizaines de milliers de « faux bourdons », de spirales d’étourneaux en plastique, d’essaims d’aéronefs pilotés par les Brigades de Répression Aérienne Volante Dronisée. A n’importe quel moment la BRAV D peut ainsi arraisonner, contrôler, soumettre voire neutraliser n’importe quel citoyen.
Ici, les esprits Contino-mormeillois s’échauffent, prennent la mouche, veulent réagir dare-dare face à l’envahissement de leur espace de vie. La résistance s’organise et revêt étrangement les traits d’un jeune noble télévisuel, Thierry de Janville, qui fut fait prisonnier dans son propre château et promis à la mort pour trahison, suites aux agissements, bassesses et autres vilénies de Florent de Clouseaules, l’ambitieux intendant de ses domaines.
Alors que plusieurs journaux locaux et nationaux évoquent la destruction de drones par des tirs de fronde ravageurs, le nom de « Thierry la Fronde » circule comme une traînée de poudre. Les réseaux sociaux s’en emparent, d’antiques cassettes VHS circulent sous le manteau, des gens manifestent, scandant le nom du noble héros et de ses fidèles : Bertrand, Martin, Jehan, Pierre, Judas, Boucicaut et la belle Isabelle que Thierry épousera à la fin de la série. Le générique du feuilleton, à l’instar de « Motivés » ou de « Bella ciao », devient l’hymne des contestations en tous genres.
De jour en jour, de plus en plus de drones de la Surveillance et de la Sûreté nationales sont ainsi abattus par des pierres lancées d’un trottoir, d’un toit, d’un pont.
Zacron 1er, à force de créer des périmètres de sécurité lors de ses sorties, finit par transformer tout le pays en un unique périmètre de sécurité où règnent couvre-feu, état d’urgence, état de guerre permanents.
Ce que nous sommes en train de vivre aurait pu se dérouler dans un monde imaginaire où une société de type féodal aurait côtoyé la magie et les créatures légendaires de sept royaumes. Où les saisons auraient duré des années, où les représentants de puissantes maisons, les Arryn, les Baratheon, les Lannister, les Martell, les Stark, les Tully et les Tyrell auraient festoyé puis comparé bannerets et blasons et rencontré, qui sait, la joyeuse bande de Thierry la Fronde.
A cet instant précis, un vrombissement me réveille. Surgit dans mon ciel tourmenté, un gigantesque drone métallisé noir. Il pique droit sur moi, je me roule en boule, écailles blindées. Quand le vaisseau me surplombe, j’entends une voix chantonner :
Ami le temps n’est plus aux chansons
Il faut partir, laisser ta maison
Et tout quitter, jusqu’à son nom
Compagnon !
Compagnon !
Prends le chemin que nous avons pris
Soldats de l’ombre, enfants de la nuit
Que l’ennemi craigne ton nom
Compagnon !
Compagnon !
Tu auras faim et tu auras froid
Tu marcheras et n’oublieras pas
Il faut lutter pour la liberté
Gagner la guerre et gagner la paix
Je sors de ma souche, avance au milieu du jardin, scrute le ciel pendant des heures. Rien ne le traverse, qui ressemble à un drone.
10 mai 2023