Le dernier des Pangolins
Chroniques
A mes frères d’outre-mer
Évoquer mes cousins de Taïwan, également connus sous le nom de pangolins de Formose, me pousse toujours vers des rivages douloureux, tant leur situation est préoccupante. Ces fiers congénères, descendants de souches indonésiennes ou malaises, voient leur population largement diminuer depuis des décennies.
Mes cousins sont des insulaires, des solitaires, des nocturnes, connus pour être insaisissables. Leur indépendance et leur territoire furent sacrément réduits par l’importation massive, mais surtout programmée, de congénères chinois qui, dès les années cinquante, colonisèrent forêts, bambouseraies, prairies, champs agricoles et terriers. Plus puissants, plus nombreux, plus agressifs et arrogants, ils refoulèrent les autochtones dans les zones montagneuses.
Ces pangolins prédateurs, bras armé de l’Empire du Milieu ne réussirent cependant pas à éradiquer les pangolins Taïwanais résistants, même si des hordes de trafiquants, payés par le gouvernement de Pékin, en capturèrent des dizaines de milliers, pour les exporter vers Shanghaï ou Canton où ils furent assignés dans des zoos de rééducation.
Mes cousins sont emblématiques d’un pays et d’un peuple qui gênent le régime de parti unique à la tête de la Chine continentale depuis 1949. Cette Chine-là considère Taïwan comme chinoise. Son existence même lui est « insupportable » car elle est la preuve institutionnelle qu’un régime autoritaire, comme l’était celui du nationaliste Tchang Kaï-chek – en octobre 1949, Taïwan accueillit plus d’un million de personnes: militaires, civils, fonctionnaires, universitaires et membres du Kuomintang refusant le régime communiste- peut engendrer un régime capable d’instaurer des libertés et conjuguer démocratie et réussite économique. Pékin abhorre la puissance et le savoir-faire militaires de sa vassale et veut faire sauter le verrou du détroit de Formose par lequel naviguent de nombreux bateaux reliant le troisième pôle de la triade, le Japon, ainsi que la Corée du Sud, ou des ports chinois à l’Asie du Sud-Est, à l’Inde, au Moyen-Orient et l’Afrique.
Dans son ouvrage Histoire de la géopolitique entre la Chine continentale et Taïwan au 20e siècle, Chang-Lin Li (2009) relate que lors de la conférence, le 28 décembre 1979, des principaux cadres responsables des affaires chinoises d’outre-mer, Liao Chengchih, ancien dirigeant chargé de ces affaires, déclara:
« Après la réunification pacifique avec la Chine, Taïwan devra finalement suivre la voie socialiste. Il est exagéré de croire que sous la direction d’un parti prolétarien, la Chine puisse mettre en œuvre un système socialiste d’un côté du détroit de Taïwan en même temps qu’un système capitaliste de l’autre. Cependant, à l’heure présente, notre premier but consiste à réussir la réunification pacifique pour mettre fin à cette séparation qui a duré plus de trente ans. Pourtant, tandis que les autorités et nos compatriotes de Taïwan, ainsi que la majorité des Chinois d’outre-mer refusent encore d’accepter notre système socialiste, notre insistance sur le socialisme ne fera que rendre plus profondes les incompréhensions et produira de nombreux facteurs défavorables à la réunification. C’est pourquoi, tactiquement, nous devons éviter les paroles creuses au sujet du socialisme. Il faut d’abord démontrer la nécessité de la réunification sous l’angle des intérêts nationaux, de l’avenir de notre pays, de l’espoir du monde et des aspirations de tous les Chinois de Chine et d’ailleurs. Puis, nous devons rendre la situation parfaitement claire en nous fondant sur la géopolitique, les liens du sang, la culture et l’histoire du développement de Taïwan ».
S’élabore alors, le fameux concept made in China « Un pays, deux systèmes », susceptible de réunifier pacifiquement la mère patrie. Première étape: le processus enclenché avec Hong Kong, selon la Déclaration conjointe sino-britannique, signée en 1984. L’organisation socio-économique et le genre de vie, ainsi que les lois en vigueur, devant rester… fondamentalement inchangés. Nous savons, hélas, ce que cela a produit.
Le « Un pays, deux systèmes », n’est qu’un modèle transitoire. Un leurre. La Chine continentale continue à suivre la voie socialiste. Les systèmes capitalistes appliqués à Hongkong et Taïwan ne constituent que des chevaux de Troie. Le but final c’est d’assoeir un nouvel ordre mondial.
Qui imaginerait un instant que le régime de Pékin envisage de recevoir en son sein, un pôle de capitalisme aussi puissant que Taïwan?
Zacron 1er.
Qui, loin de l’hexagone, dans son Airbus résidentiel, affirme: « […] la pire des choses serait de penser que nous, Européens devrions être suivistes » sur la question de Taïwan et « nous adapter au rythme américain et à une sur-réaction chinoise ». Qui, en même temps, dans un élan jupitérien, appelait « l’Europe à se réveiller », refusant «d’entrer dans une logique de bloc à bloc ».
In fine, que veut rappeler le Résident?
Que le cher pays de nos enfances n’a jamais reconnu, depuis 1964, qu’une seule Chine.
Que le cher pays de nos enfances n’a JAMAIS formellement reconnu Taïwan.
Et le sieur Xi JI Ping de se frotter les mains.
L’ambivalence, le « en même temps » zacronien n’est plus de mise, surtout à l’échelle internationale. A vouloir tout contrôler, à vouloir ménager la chèvre et le chou, à vouloir marier la carpe et…le pangolin, Zacron file droit dans un mur.
Celui de la colère, de l’incompréhension, de l’incohérence qu’il édifie, depuis sa première élection et qui l’empêche de voir ce qui se trouve de l’autre côté de son monde.
Décidément, mes frères d’outre-mer, ont encore du pain sur la planche.
16 avril 2023