Journal de Brigitte. Opus 2. Tribune
Jeudi 26 Janvier :
A la mi décembre, le chef de la bande de copains de mon Mari à Moi au Sénat, avait évoqué les exosquelettes qui équipaient maintenant tous les travailleurs manuels. Un vrai progrès ! Les travaux jadis pénibles et harassants devenus parties de plaisir par le simple fait de la technique . Fini le spectacle des déménageurs ahanant et suant à grosses gouttes sous le poids des pianos à queue dans les couloirs des hôtels particuliers parisiens, encouragés par les applaudissements compassés de vieilles bourgeoises ébaubies et emplumées.
A l’en croire, les déménagements d’aujourd’hui tenaient la dragée haute à la dernière représentation du « lac des cygnes » à l’opéra.
Il ne faisait aucun doute qu’ on dénicherait bientôt le futur Noureev au cul du camion.
Las, ses belles paroles retinrent l’attention du Petit ! Depuis son bureau où il avait entrepris d’écrire à l’encre sympathique les nouvelles conditions de rémunération de la fonction publique, il s’écria :
» J’en veux un ! J’en veux un !..Pour mon Noël !S’il te plaît !! »
En cela, le Petit ne se distingue guère d’ autres garçons qui, dans leur plus jeune âge ,montrent plus d’ intérêt pour les engins de travaux publics et les grosses voitures de sport que pour les poupées de porcelaine. Notons cependant, qu’à l’adolescence, il n’est pas rare de voir ces centres d’intérêts permutés voire confondus ( mais seulement pour ceux qui en ont les moyens).
Par quelques habiles manœuvres ( ! ), je parvins cependant à détourner son attention et pensai l’affaire repoussée sine die. C’était bien mal le connaître et je compris enfin le surnom dont on l’avait affublé ainsi que le vieux proverbe guilligomarchois dont bruissent les couloirs du palais .
« Pour cueillir la moule entêtée, toujours il faut bouger le rocher ».
Alors j’ai cédé et, aujourd’hui, le Petit et moi, sommes allés voir les exosquelettes au centre de marche Station Debout. Pour l’occasion, je l’avais autorisé à emmener quatre petits camarades de son conseil des ministres. Et puis, au dernier moment, il a fallu emmener aussi la petite Tiphaine qui trépignait tant comme autant. Habituellement, nous la confions à notre super Nanny . Mais, en ce moment, Super Nanny fait de la pédagogie sur tous les plateaux de télé. Il faut dire qu’elle a fort à faire avec tous ces français qui comprennent pas pourquoi travailler plus pour toucher moins ,c’est un immense progrès.
On a vu des grands blessés remarcher ! On a vu des machines qui t’aident à ne pas aller moins bien! C’est vraiment très bien! On a passé un agréable moment.
Samedi 28 janvier :
Et voilà ! J’en étais sûre ! Moule entêtée fait un caprice ! Une crise de jalousie ! Un truc terrible….
Il refuse absolument de m’accompagner au gala des pièces jaunes au prétexte que mon Dédé m’accompagne. Il trouve que je passe beaucoup trop de temps avec lui, que je voyage beaucoup trop avec lui ! Et patati et patata …..!Il croit sans doute que c’est facile de soutirer de l’argent à des gens qu’il a déjà appauvris !
Il ne comprend pas ce que je peux lui trouver que lui n’aurait pas. Et il m’en fait la démonstration !!!
Si, si !!
Et alors !!! Moi aussi, une fois j’ai gagné en surprenant tout le monde parce que je n’avais jamais été élue !
Et alors !!! Moi aussi, je sélectionne et j’anime une équipe de gens surpayés ( en plus la mienne est mixte ) !
Et alors !!! Moi aussi je dois gérer les caprices des stars ! Moi aussi j’ai des grands noms qui me quittent en claquant la porte ! Il a eu son Rabiot, j’ai eu mon Hulot !
Et moi aussi, je suis capable de faire descendre les gens dans la rue par millions !
Et moi aussi, je me suis qualifié une deuxième fois !
Et, tu vas voir ma Brigitte l!! Moi aussi, je vais perdre en finale !
Mais je suis déjà dans la cour d’honneur où m’attend la voiture officielle…
J’espère qu’il sera déjà couché quand je rentrerais !!!
Jeudi 2 février :
Ce soir, on s’encanaille !!! Pour Moule entêtée et Moi , c’est plateau téloche comme ils disent là où on ne va pas. Il y a Super Nanny à la télé ! Elle vient une fois de plus expliquer sa réforme aux 30% de français qui n’ont toujours pas tout compris . A force de persévérance, elle va peut-être parvenir à faire l’unanimité.
Pendant que le Petit se goinfre de chips et met des miettes partout, j’observe notre championne et j’admire son talent. En tant que professeur émérite de théâtre, je suis en plein dans mon domaine de compétence. Cet air surpris à chaque question de la journaliste, ce regard qui évite la caméra et celui de son interlocutrice, cette voix pas toujours assurée, c’est du grand art ! du très grand même ! De la comédie Française ! De « l’Actor studio « !
Et cette condescendance !!! On nomme les témoins par leur prénom, ça rapproche ! Ca fait sympa !
Du coin de l’oeil, nous surveillons les chiffres des sondages, les réactions des auditeurs. Ouiiii ! Ca y est ! Ca bouge, ça frémit !!!! on atteint 73%de gens contre la réforme, un point de plus !
Le petit est pris d’une folle frénésie. Tel le Président de la République à la coupe du monde, il bondit, chemise ouverte et poitrail velu à l’air. Il saute par dessus la table basse, se campe devant l’immense poste de télévision et ouvrant les bras tel Jésus sur sa croix s’écrie : » Ouiiii ! Babeth ! Ouiii ! Vas y super Nanny ! On peut le faire! On va y arriver ! Les 100% de mécontents sont à notre portée.
Puis se rassoit car il reste des apéricubes !
A l’aide du carré hermès qui ne me quitte jamais, je débarrasse prestement l’écran géant de toutes les miettes de chips éructées par le petit. Le visage compassé de Super Nanny réapparaît bientôt. Elle s’apprête à porter l’estocade. La fin est proche, le suspense à son comble. On n’entend plus que le bruit du Petit qui termine la boîte d’apéricubes……
Super Nanny sort deux atouts de sa manche.
1/ Un chef d’entreprise invité à témoigner use de mots choisis et tente de faire comprendre aux spectateurs qu’à celui qui osera les mettre à l’index, ils montreront sans tarder leur majeur.
2/ Un autre chef d’entreprise vient expliquer sans rire que les cinquantenaires au chômage n’auront aucune difficulté à retrouver du travail puisqu’on pourra les exploiter pendant un temps suffisamment long.
Les bras m’en tombent ! Quel talent ! Quel génie !!!
Je me tourne vers le Petit pour partager avec lui ce moment de grâce.Hélas !! Goinfré de chips et d’apéricubes nutriscore D, le Petit s’est endormi, affalé de travers sur le canapé. Accrochées dans les poils de son torse bronzé au soleil de Brégançon, et éclairées par le lustre à pampille, quelques miettes de chips grasses scintillent.
IL EST BEAU !!