Instrumentalisation politique de la laïcité à Nice : ça suffit !
Communiqué de Presse FCPE – Cgt-Educ’Action 06, SUD 06
Jeudi 15 juin, le maire de Nice, Christian Estrosi a publié un communiqué alertant la première ministre et le préfet des Alpes-Maritimes sur la tenue de “prières musulmanes dans la cour par des élèves de CM1 et CM2” et d’une “minute de silence pour Mahomet” dans “différents établissements de la ville de Nice”.
Vendredi 16 juin au matin, des journalistes viennent interroger des parents d’élèves devant les écoles incriminées. La plupart ne sont pas au courant. Le communiqué est relayé par le ministère de l’Éducation Nationale. C’est l’emballement médiatique et sur les réseaux sociaux. L’affaire devient nationale.
Les expert·es auto-proclamés et les journalistes de plateau ont déversé leurs éléments de langages habituels. « Lâcheté », « renoncement », « entrisme », etc. Depuis, la pression médiatique est petit à petit retombée. Les chaînes d’information en continu sont passées à autre chose, mais les conséquences se feront sentir pendant encore longtemps sur le terrain. Car quoi de plus lâche que de laisser maintenant des enfants, leurs parents et l’ensemble des communautés éducatives de ces établissements seuls, dans une ambiance de malaise et de suspicion.
Nous sommes scandalisé·es par l’instrumentalisation de faits montés en épingle, qui concernent moins d’une quinzaine d’élèves de 3 écoles de Nice sur les 1317 établissements publics que compte l’académie. Nous sommes profondément choqué·es par la projection sur la scène médiatique d’enfants, de familles et d’écoles qui n’avaient nullement l’impression de traverser une crise quelconque.
Car même en agrégeant des faits isolés et épars sur plus d’un mois, Christian Estrosi évoque difficilement le lien concret entre ces établissements qu’il nomme sans vergogne, sans penser à la sécurité des agent·es et des usager·es. Plus grave : alors que les informations précises avaient déjà été transmises à la mairie, Christian Estrosi a d’abord sciemment entretenu le flou en utilisant le conditionnel lors de sa conférence de presse, alimentant ainsi les spéculations et jetant le discrédit sur l’ensemble des établissements.
Nice a connu des heures sombres sur son territoire, que ce soit lors des attentats, mais aussi au moment où de jeunes niçoises et niçois ont été embrigadé·es par des cellules de recrutement. Nous connaissons notre histoire et c’est pour cette raison précise que ce sujet doit être traité avec discernement, sans polémiques inutiles destinées à alimenter un buzz politicien obscène sur le dos d’une partie de la population.
En cela, les déclarations de Christian Estrosi, relayées par le ministre de l’Éducation Nationale, qui mélange volontairement des jeux de jeunes enfants dans la cour de leur école et le retour des familles de Syrie, ont pour effet d’attiser la méfiance, la peur, voir la haine à l’égard de l’ensemble de la population de culture musulmane. Déjà sur les réseaux sociaux, des organisations d’extrême-droite se proposent d’être “vigilantes” vis-à-vis des écoles jetées en pâture par le maire de Nice.
Tous les professionnels de l’Éducation Nationale sont attentifs à ce qui se passe au sein des écoles et prennent l’ensemble des signes qu’ils observent au sérieux. Et ressortir ces faits qui, on le sait maintenant avec quelques jours de recul, ont été traités correctement par l’ensemble de la communauté éducative, avec sérieux et sans en faire étalage, entraîne également une défiance de ces mêmes populations qui peuvent voir là une volonté de la part de l’institution de les stigmatiser davantage.
Il est essentiel que les enfants puissent fréquenter l’école en toute sérénité et s’y sentir en confiance afin de permettre des relations apaisées avec les familles, y compris pour pouvoir protéger les plus fragiles et les plus exposés à des phénomènes de harcèlement, d’intimidation, d’influence.
Car l’école publique française souffre et perd progressivement de son attractivité, notamment dans sa capacité à encadrer correctement et avec bienveillance les enfants. Manque de moyens, locaux vétustes, perte d’attractivité du métier d’enseignant·es… Le jeu annuel de chaises musicales sur la carte scolaire, l’attrait de plus en plus important pour l’enseignement privé, notamment hors contrat, sont le résultat d’une ségrégation scolaire orchestré par les pouvoirs publics qui n’aura bientôt plus de « public » que le nom.
En cela, nous rappelons notre profond attachement à la laïcité de l’école, et qu’un devoir de neutralité s’impose au service public d’éducation. Ce principe ne saurait cependant être utilisé pour criminaliser des enfants et leurs familles en les traitant comme des dangers pour la République. En aucun cas, la laïcité ne doit être instrumentalisée comme une arme de stigmatisation. Elle doit rester conforme à la loi de 1905 : une loi assurant la liberté de conscience et garantissant le droit de croire comme de ne pas croire.
Enfin, nous trouvons révoltant que derrière des déclarations appelant à une sanctuarisation de l’école, de nombreuses personnalités politiques n’hésitent pas à transformer des situations parfaitement gérées par des personnes compétentes et responsables en enjeux médiatiques servant leur propre agenda. La surenchère systématique lorsqu’il s’agit de faits liés à l’Islam ne trompe personne.
Cette affaire n’est malheureusement que la suite d’une interprétation dévoyée de la laïcité amorcée par Jean Michel Blanquer et d’autres avant lui, en parallèle de la dissolution de l’Observatoire de la laïcité il y a deux ans. Récemment, la demande de remontées des chiffres sur l’absentéisme lors de l’Aïd dans certaines académies et le scandale de la gestion du « Fonds Marianne » n’ont fait qu’enflammer davantage le débat public sur ces questions et Christian Estrosi y a apporté malheureusement sa pierre à l’édifice.
À l’heure où l’école va mal et où nous avons besoin d’apaisement et de stabilité, nous dénonçons une dérive inacceptable de la part des élu·es locaux comme du ministère de l’Éducation Nationale. Faudra-t-il s’attendre à une surenchère à Nice et dans le département des Alpes-Maritimes sur le dos des enfants jusqu’aux prochaines échéances politiques ? Nous posons la question, en toute responsabilité.
La CGT Educ’Action 06, la FCPE 06 et Sud éducation 06
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