Enseignement professionnel – les mensonges ministériels
en réponse aux propos de la ministre dans l’article de NiceMatin du 26 Janvier 2023
La ministre déléguée à l’enseignement et à la réforme professionnelle a montré les orientations du gouvernement dans une interview récente. Les premiers symptômes du transfert de l’éducation à la formation privée n’ont pas suffi : les arnaques au CPF sont glissées sous le tapis et considérées comme réglées avec un peu de rustine. Méprisant le lycée professionnel, glorifiant l’apprentissage et la VAE, c’est une France d’ouvriers serviles et non de citoyens à l’esprit critique développé qu’on nous prépare, avec comme seul étalon l’insertion professionnelle des jeunes immédiatement après le diplôme.
La CGT Éduc’action 06 souhaite apporter un éclairage à l’ensemble des approximations développées dans l’article de Nice Matin paru le 26 JANVIER 2023, vous trouverez notre réponse documentée ci-dessous :
Dans une interview du 26 Janvier 2023 sur la réforme du lycée professionnel, la ministre déléguée à l’enseignement et à la réforme professionnelle a donné une interprétation quelque peu fantaisiste des données présentées. Nous souhaitons apporter quelques éléments de compréhension pour que les lecteurs ne s’y perdent pas.
La première affirmation, tenue par le journaliste, est “53% des jeunes qui sortent d’un bac pro sont sans emploi”. La source n’étant pas indiquée, l’information est difficilement vérifiable, mais elle paraît étonnante. C’est cependant au ministre qu’incombe la responsabilité de préciser une telle statistique. Il n’est fait aucune mention de la poursuite d’études dans cette affirmation, sous statut scolaire… De fait, il semble que ce chiffre ne concerne que les élèves ne poursuivant pas leurs études après obtention d’un bac professionnel1. La moitié des élèves ayant obtenu un bac professionnel poursuivent des études2 : cela divise par deux le chiffre annoncé si l’on tient compte de l’ensemble des élèves… Il vaut mieux regarder le parcours sur deux ans, dont les chiffres sont plus réalistes et moins inquiétants3.
L’apprentissage est présenté quelques paragraphes plus loin comme une voie idéale, très demandée (progression de +42% en lycée professionnel). Cependant, non seulement les Centres de Formation des Apprentis sélectionnent les candidats alors que le lycée professionnel se doit d’accueillir tous les élèves, mais la poursuite d’études après obtention d’un diplôme y est bien inférieure. L’apprentissage était en chute constante de 2006 à 2017 selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dont les conclusions indiquent clairement l’intérêt de ce choix : réaliser des économies budgétaires4. C’est ainsi que des mesures incitatives ont été prises pour développer les contrats d’apprentissage, notamment une aide de 6000 € versée aux employeurs5… Les augmentations d’effectifs sont récentes6 et dépendent grandement des soutiens financiers attribués à ces choix d’orientation, plutôt qu’à une aspiration réelle des entreprises et des élèves prétendue par la ministre.
La mise en avant au cours de cette interview de la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE), un diplôme obtenu grâce à l’expérience professionnelle, rentre dans la droite ligne de cette volonté de faire des économies : moins de formation au lycée, plus de formation dans le monde professionnel.
Une des conséquences néfastes de cette logique est pointée par le journaliste : le démarchage au Compte Personnel de Formation (CPF). En effet, le “marché” de la formation est devenu le terrain de jeu de divers escrocs et profiteurs, comme c’est souvent le cas lorsque l’on passe d’un service public avec des objectifs éducatifs et formateurs à un marché privé aux objectifs de rentabilité financière. Selon la ministre, la situation est résolue grâce à diverses régulations. Sans doute, les pires dérives ont pu être retirées (notamment dans le domaine du coaching et des influenceurs). Mais peut-on s’en contenter ? Quelle est la qualité des formations dispensées ? Nous voyons déjà d’autres problèmes et dérives poindre, notamment lorsque des Centres de Formation des Apprentis dissimulent des affaires de redressement judiciaire, recrutent autant que possible à la rentrée dans leurs formations payantes pour tenter de se maintenir à flot et abandonnent leurs élèves du jour au lendemain pendant la liquidation judiciaire : combien aurons-nous de cas similaires à cette École Européenne d’Esthétique niçoise avec une telle politique ?.
En choisissant comme seul indicateur l’insertion professionnelle, nous manquons l’essentiel. L’éducation nationale a vocation à former des citoyens, capables de réfléchir, d’user de leur esprit critique. C’est indispensable pour nos sociétés, de plus en plus soumises à la désinformation, qu’elle soit à visée politique, mercantile ou géopolitique. Ainsi, le transfert au secteur privé de l’enseignement rend nos sociétés plus vulnérables et fragiles qu’elles ne le sont déjà en modifiant les objectifs de l’éducation nationale, réduits à la “formation professionnelle”, si possible “en apprentissage”… N’abandonnons pas les objectifs du code de l’éducation : formons des citoyens à part entière, ne nous arrêtons pas à un statut d’ouvrier !
1 https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/lemploi-salarie-des-lyceens-professionnels-et-des-apprentis-un-apres-leur-sortie-du-systeme-educatif
2 https://www.letudiant.fr/bac/bac-pro/article/quelles-sont-vos-chances-de-poursuite-d-etudes-apres-un-baccalaureat-professionnel.html
3 https://www.education.gouv.fr/les-parcours-sur-deux-ans-des-apprentis-et-des-lyceens-sortis-en-2019-de-formations-professionnelles-343906
4 https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2019-111r2-consequences_financieres_reforme_form_pro_apprentissage.pdf
5 https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A14253
6 https://www.education.gouv.fr/l-apprentissage-au-31-decembre-2021-342028