Communiqué de presse LDH Nice
Côte d’Azur Habitat : la répression qui cache la pénurie
Le bailleur social Côte d’Azur Habitat lance un plan d’expulsions massives de locataires qui fait école, plusieurs bailleurs sociaux souhaitant dupliquer sa démarche dans différentes villes de France.
Selon les déclarations de son président et 1er adjoint à la Ville de Nice, Anthony Borré, 72 expulsions seraient en préparation, en plus de celle déjà en cours dans le quartier de Saint-Charles à Nice. En effet, une mère est en cours d’expulsion du fait d’agissements de son fils majeur, sanctionné pénalement. La décision de justice du 13 juillet 2021 résiliant le bail et ordonnant cette expulsion fait référence à des « nuisances sonores et dégradations graves causées par son fils ».
Le procédé ? Le bailleur social a, aux côtés de la ville de Nice, signé une convention avec le préfet et le procureur de la République afin d’avoir accès aux poursuites en cours et aux condamnations pénales de ses locataires. Dans un second temps, il a voté un nouveau règlement intérieur permettant l’expulsion de l’ensemble des occupants d’un logement si l’un d’entre eux commet des dégradations ou est condamné par la justice « pour toute infraction ».
Est ensuite instauré un « Conseil des droits et des devoirs » où sont convoquées les familles en présence de la police. Le bailleur social, Côte dAzur Habitat a, dans le même temps, déroulé un plan de communication savamment orchestré autour de cette première expulsion se concluant par la publication opportune d’un sondage, réalisé en moins de trois jours, sollicitant l’approbation de l’opinion publique.
M. Borré se justifie dans les médias en martelant son mot d’ordre « Pas de logement social pour les ennemis de la République ». Il ajoute que « l’urgence sociale ne suffit pas pour prioriser les dossiers. Je prends en compte la méritocratie. (…) Je veux faire savoir à ceux qui trafiquent (…) : qu’ils quittent ces quartiers. » et conclut : « J’ai 16 000 demandeurs qui, eux, respectent les lois de la République, et attendent patiemment de pouvoir bénéficier de ces logements ».
En réalité, avoir accès à un logement décent est un droit, acté par le législateur, dissocié de toute « méritocratie ». Côte d’Azur Habitat tourne ici le dos à sa vocation sociale pour s’instaurer juge de qui « mériterait » ou non un logement social en invoquant le terme anxiogène « d’ennemis de la République », terme utilisé par le gouvernement pour désigner les terroristes.
Le bailleur social instaure une sanction collective dont sont victimes des personnes pour les actes commis par d’autres. Des enfants pourront ainsi se retrouver à la rue à cause des actes d’un parent ou d’un ainé. Des familles entières, déjà socialement défavorisées, seront mises au ban. On ne peut pas mettre à la rue les familles pour prétendre combattre le trafic de drogue !
En reconnaissant qu’il y a 16 000 demandes de logement sociaux en attente, Anthony Borré ne fait que confirmer ce que pointe la Fondation Abbé Pierre dans son dernier rapport annuel : « les Alpes Maritimes sont le département où il est le plus difficile de se loger en France ». La loi SRU qui préconise 25 % de logements sociaux n’est pas respectée : Nice plafonne à 13 % et paye cette année 416 000 € de pénalités. Expulser certains locataires pour libérer des logements ne suffira pas à loger les 16 000 demandeurs actuels et la construction de logements très sociaux devrait être la priorité des pouvoirs publics.
Enfin, lorsqu’Anthony Borré souhaite que les trafiquants « quittent ces quartiers », il ne fait que déplacer le problème dans les quartiers voisins. C’est là un constat d’échec de la politique menée par la Ville de Nice pour garantir la sécurité des habitants et lutter efficacement, avec l’Etat, contre le trafic de drogue. C’est le résultat de l’absence d’une véritable politique sociale de prévention de la délinquance dans les quartiers identifiés comme « difficiles », désertés par les services publics, avec une forte proportion de jeunes sortis du système scolaire, sans diplômes ni emplois pérennes.
En conséquence, nous dénonçons fermement ce dispositif répressif qui aboutit à une injustice sociale inacceptable.
Nous demandons la présence d’observateurs citoyens neutres lors des réunions du « conseil des droits et des devoirs » où les familles sont convoquées par Côte d’Azur Habitat.
Nous saisissons la CNIL sur la transmission informatique de données judiciaires entre le procureur de la République et Côte d’Azur Habitat.
Nous saisissons la Défenseure Des Droits sur ces sanctions sociales collectives.
Nice, le 4 octobre 2021