CAPPEI… la médicalisation de la
difficulté scolaire
Le projet de
nouvelle formation ASH suit la logique de la médicalisation
de l’échec scolaire avec un moyen de parvenir
à l’accroitre : l’inclusion,
non pas comme principe, mais telle qu’elle est
théorisée par le ministère et ses
partisans, par la loi de refondation de 2013 ;
l’inclusion tous azimuts visant à ce que tous les
enfants soient scolarisés dans les écoles
ordinaires, sans obligation de moyens, et qu’on en finisse
avec tout ce qui est considéré avec
mépris comme des outils de relégation, de
ségrégation même, les SEGPA, les EREA
et les établissements de soin.
C’est un combat de longue haleine et le CAPPEI
(Certificat d’Aptitude Pédagogique aux Pratiques
de l’Éducation Inclusive) n’est
qu’une pierre dans cet édifice. Dès le
début, le cadre a été posé
par le ministère :
« Aujourd’hui, la distinction entre
enseignement adapté et handicap n’est plus
pertinente ». Et, pour que nul ne puisse
s’y tromper, le mot
« rééducateur »
a été banni du décret à
venir. D’ailleurs, systématiquement,
qu’il s’agisse de préparer la circulaire
SEGPA, la circulaire EREA ou les décrets concernant la
nouvelle formation, ce sont des cadres du ministère
chargés du handicap qui sont à la
manœuvre. Tout, dans le futur CAPPEI, peut se lire
à cette aune.
Le nouveau diplôme se décline en trois
phases :
- un tronc commun de 144 heures dont les modules
relèvent complètement du formatage officiel
(enjeux éthiques, cadre législatif,
etc.) ; rien sur la psychologie du développement de
l’enfant… - deux modules d’appro-fondissement de 52 heures
à choisir parmi 11 (dont 8 relèvent des
« troubles » et de
l’actuelle option D) ; - un module professionnel de 52 heures à choisir
parmi 5 (dont 3 relèvent de ce qu’est
aujourd’hui l’ensei-gnement adapté).
En tout 300 heures (au lieu des 400 actuelles) ;
rassurons-nous, il y aura encore 100 heures de formation continue
à prendre dans les MIN.
Mais, des six modules d’approfondissement pouvant
conduire aux modules professionnels liés à la
difficulté scolaire, trois relèvent clairement du
« trouble » et de
l’actuelle option D. Il est donc possible, puisque
l’on doit choisir deux modules
d’approfon-dissement, d’aboutir à
l’un de ces trois modules professionnels en ayant choisi
exclusivement deux modules d’approfondissement
« handicap ».
En outre, aucun module d’approfondissement ne forme
à être rééducateur, enfin
à « l’aide
relationnelle », la nouvelle éti-quette
des maitresses et maitres G. Et, en toute logique,
« enseigner en RASED » sera un
module professionnel unique pour l’aide
pédagogique et la rééducation.
Plusieurs signes indiquent que le MEN souhaite en finir avec les G,
avec l’approche de l’enfant comme sujet, en
s’en tenant à des protocoles à
appliquer. Sans oublier les réflexions des
« officiers
ministériels » laissant entendre que les
collègues E peuvent très bien faire le
même travail que les collègues G. Et ce
d’autant plus que rien dans la formation n’a trait
à la difficulté scolaire ordinaire.
La formation F est définitivement
supprimée, consacrant la fin des PEE, traité-es
avec autant de mépris que les
rééducateur-trices.
Le gouvernement actuel, après d’autres,
s’acharne à ne parler que de handicap, quitte
à en inventer (on est toujours
« dys » quelque
chose) parce que la difficulté scolaire est
parlante : elle concerne massivement les enfants des milieux
populaires. L’échec scolaire est social, parce que
l’École reproduit ou aggrave les
différences sociales. Ce simple constat met en cause
l’institution, de ceux qui l’ont
créée à ceux qui la conduisent
aujourd’hui. C’est l’École qui
trie, qui sépare, qui élimine.
Pour masquer cette vérité qui peut nuire
à l’image de la société
capitaliste, tout un processus a été mis en place
depuis des décennies pour déplacer les
responsabilités de l’échec scolaire.
D’abord vers les enfants et les familles, c’est le
rôle conjugué du concept élargi de
handicap et de l’individualisation forcenée des
parcours. Ensuite vers les enseignant-es, et ce sera le rôle
pervers de l’inclusion libérale.
L’École inclusive, telle que
pensée par Fillon et ses successeurs a renforcé,
dans la logique du Socle commun, la personnalisation et
l’individualisation des aides, des parcours, des projets. Si
cette individualisation a le grand mérite de
réduire les couts, elle est surtout totalement dans la
logique politique de casser le collectif.
L’inclusion indifférenciée est
présentée par ses tenants, notamment du MEN, non
comme une volonté politique de donner leur place
à tous, mais comme le moyen de changer
l’École et de lui ôter son
caractère discriminatoire. L’idée du
CAPPEI est donc de « former des
spécialistes entrainant une mutation de
l’école vers
l’inclusion » ; dans ce cadre le
fondement du RASED : trois regards de trois métiers
différents n’est plus efficient. Comme on est dans
la croyance en l’omnipotence de la solution
pédagogique (aux dépens du soin), avec
l’inclusion / individualisation en direction des enfants
handicapés, on cherche des polyvalents capables de
promouvoir et vendre cela, quitte à ce qu’ils
changent de spécialité une fois usés.
C’est ce qui explique qu’il va être
désormais possible, en 52 heures de passer de
« enseigner en RASED »
à « coordonner une
ULIS ». Certes, cette certification
complémentaire donne droit à une attestation, pas
à un nouveau diplôme. Mais c’est parce
qu’il n’y a plus d’options, que le CAPPEI
est voulu comme un diplôme unique fondant tout. Donc, ce qui
est marquant, c’est finalement la polyvalence. Le-la
titulaire du CAPPEI sera désormais le chevalier blanc des
enseignant-es capables de mettre en place l’inclusion tous
azimuts, le parangon de l’émancipation…
Au vrai, il y a du souci à se faire, et surtout
pour les élèves en difficulté
scolaire. Les psychologues écartés,
posés doucement dans un nouveau corps qui va contribuer
à en faire définitivement
des « gares de tri »,
bons à seulement faire des bilans, appliquer des protocoles,
cocher des cases ; les
rééducateur-trices condamné-es
à la mort lente (ou rapide ?) ; les
maitres-ses d’adaptation destiné-es à
être les femmes et hommes à tout faire de
l’aide, dans des conditions qu’il vaut mieux ne pas
imaginer ; les SEGPA et les EREA liquidés. Bref, le
gouvernement actuel aura bien contribué à casser
ce qui permet encore, dans cette École, de sauver des
enfants. Il aura bien mérité du Capital.
À rebours de tout cela, la CGT
Éduc’action revendique la prise en compte et le
renforcement de la formation à l’enseignement
adapté. Elle exige aussi le retour à une vraie
formation, que certain-es attendent depuis 2012 : une
année au moins de formation, sans être en poste,
pour les futur-es titulaires du diplôme
spécialisé. Une formation en un ou deux ans,
clairement différente et séparée selon
que l’on s’occupe de la difficulté
scolaire ou des situations de handicap, avec des stages, mais sans
être en poste, sans servir de variable d’ajustement
au manque d’enseignant-es.
Contrairement à la logique du ministère,
la CGT Éduc’action pense que la formation des
enfants réside dans le collectif, que l’inclusion
n’est pas une mise côte à côte
de destins définitivement séparés,
mais une mise en commun des compétences de toutes et tous
pour la promotion collective. Nous revendiquons une autre
École, débarrassée des oripeaux de la
reproduction sociale. En attendant, dès
aujourd’hui, une des priorités est la lutte contre
l’échec scolaire. Pour cela,
l’École a besoin d’enseignant-es
spécialisé-es formé-es à
ces questions et non de « touche à
tout » n’ayant que le mot
« trouble » à la
bouche.
Jean GRIMAL