Faut-il se méfier des Amish, des écolos ou de celui qui les raille ?
Ca y est, cela fait trois semaines que nous sommes rentrés : pas dans la normalité, pas dans la joie, qu’invoque mantralement, le sinistre de l’Education quand il suce un micro BFM ou Cnews.
Depuis trois semaines, le quotidien de l’école élémentaire Emile Glay à Contignie-lès-Mormeilles est un quotidien fait de masques à élastiques ou à lanières, taillés dans des slibards, des tissus chamarrés, du matériau plus ou moins transpirant, un quotidien de gestes-barrières que Pavlov nous aurait envié, un quotidien de repas sans trop d’éclats de rires et de postillons, sans trop de quignons de pains passés de main en main, un quotidien où tous nos sens sont en alerte permanente et où la fatigue point.
Depuis trois semaines, devant le portail, je salue les parents, sans parfois trop les reconnaître, sans parfois bien entendre leurs propos ou leurs questions absorbés dans un rectangle de papier ou de tissu. Je regarde tous ces gens attroupés sur le trottoir, un peu gauches, expectatifs, inquiets. J’essaie de les rassurer en arborant mon plus beau sourire invisible, en confirmant que les stocks de gels hydro-alcooliques, de savons, de rouleaux de Sopalin ont été refaits, qu’un énième protocole doit nous être envoyé, que je dispose d’un classeur rempli de fiches techniques, sorte de vade-mecum covidesque quant aux conduites à tenir en « cas de » ; je leur montre des photos de centaines de rations de guerre qui ont remplacé les ramettes de papier sur les étagères des classes ; je les informe que le médecin et l’infirmière scolaires sillonnent sans cesse le département, accompagnés de motards qui leur ouvrent la route ; je les rassure en disant que les emplois supprimés dans la commune ne seront plus qu’un mauvais souvenir après les plans de relance promis, que les caissières du supermarché vont certainement toucher leur prime, que l’hôpital et la maternité vont rouvrir… sans y croire un seul instant.
Depuis le mois de mars, je tiens un « Carnet des Ignymontains et Ignymontaines » dans lequel je consigne, d’une part, tous les bouleversements dans l’organisation de la ville : la fermetures des bars, des salles de cinémas et de théâtre, du bowling , de la piscine, du conservatoire, le couvre-feu concernant tous les mineurs, l’évacuation des « vagabonds avec chiens » à la lisière de la ville dans des champs de pissenlits, l’interdiction de séjourner dans les hôtels pour les non-habitants de la commune et d’autre part, je note tous les comportements humains altérés par cette pandémie qui sévit depuis le printemps dernier : la méfiance, les on-dits, les non-dits, les dénonciations mais aussi heureusement, les solidarités, les entraides.
Avant-hier, alors qu’avec la classe, nous débutions la « Foire aux questions » matutinale, un élève lance : « M’sieur, c’est quoi un Amish ? ». Les autres enfants restent cois car, depuis la rentrée, les premières interrogations tournaient plutôt autour du thème de la COVID. S’ensuit une salve d’échanges sur ce que savent les enfants eux-mêmes, sur ce qu’ils ont entendu, retenu de propos familiaux, de reportages à la télé.
« Z’ont de vieux habits et des chapeaux de cow-boys.
– Z’ont des carrioles, des chariots.
– Z’ont des maisons en bois.
– Z’habitent pas ici.
– Z’ont pas d’eau, pas d’électricité.
– Z’ont des barbes.
– Zacron, z’a dit que les écolos, c’est des Amish.
– Mes parents, z’y disent qu’ils sont d’accord avec Zacron. »
Je prends des notes, demande aux enfants de faire des recherches pour la fin de semaine et accepte que trois d’entre eux préparent un exposé. La routine coopérative quoi.
La COVID, les délinquants, les séparatismes, le climat qui déraillent ont donc fait, ce matin-là, un peu de place aux Amish . Pour quelles raisons ?
Tout part d’abord de propos du maire EE-LV de Lugdunum, sur le Tour cycliste de « ce cher pays de notre enfance » qui serait trop polluant et machiste. Puis, c’est le 1er édile de Burdigala, qui décide de supprimer le sapin de Noël géant d’une place de sa cité, qu’il qualifie d’«arbre mort». Elus verts et autres élus de gauche demandent aussi un moratoire et un débat sur la technologie de la 5G en France.
Ce sont ces offensives qui amènent le Résident de la République à marteler devant des acteurs de la French Tech : «Oui, la France va prendre le tournant de la 5G». Et d’inviter plaignants et détracteurs de s’éclairer à la bougie et de vivre, s’ils en rêvent, selon le «modèle amish».
Les partisans jupitérophiles volent évidemment au secours de leur guide suprême, sortent du bois, passent eux aussi à l’offensive, brutalement, binairement, délimitant déjà les contours de la future élection résidentielle. Le labours des champs de la droite et de l’extrême-droite ayant déjà commencé par le biais du fourbe Dark Manin et de sa clique.
Alors, en ce dimanche bruineux sur un Val d’Oise de fin d’été, je pense à mon premier amour qui se prénommait Laurette et je pose sur la platine de mon tourne-disque Phillips orange, le 45 tours de ce chanteur moustachu, témoin des mes acnés 80:
« Ma famille habite dans le Loir et Cher,
Ces gens-là ne font pas de manières.
Ils passent tout l’automne à creuser des sillons,
A retourner des hectares de terre.
Je n’ai jamais eu grand chose à leur dire
Mais je les aime depuis toujours.
De temps en temps, je vais les voir.
Je passe le dimanche dans l’Loir et Cher.
Ils me disent, ils me disent: « Tu vis sans jamais voir un cheval, un hibou. »
Ils me disent: « Tu viens plus, même pour pécher un poisson.
Tu ne penses plus à nous.
On dirait que ça te gêne de marcher dans la boue,
On dirait que ça te gêne de dîner avec nous.
On dirait que ça te gêne de marcher dans la boue,
On dirait que ça te gêne de dîner avec nous. »
Et plus la chanson défile et plus elle prend de sens et plus je me dis que ceux qui nous gouvernent marchent sur la tête, sont aux antipodes de ce que nous vivons, pauvres péquenots, bouseux, gens de la terre et de peu… ici, là et maintenant.
Adolescent puis jeune adulte, je n’ai jamais été un chevelu en sandales et pull qui gratte, je n’ai fréquenté que sporadiquement ces communautés de babas cools désireux de retourner à la terre, de la retourner tout court mais je me dis que ce sacré Zacron est frappé d’amnésie et que tellement grisé par ses saillies verbales, qu’il a oublié la parole donnée en juin à la Convention citoyenne pour le climat, la promesse faite d’une écologie à la hauteur des ambitions de ces 150 personnes qui croyaient encore dans les vertus d’un « Grandébat ».
Mensonge éhonté.
Et quand je lis qu’Irénée Régnauld, consultante en transformation numérique et membre de l’association technocritique Le Mouton numérique, se penchant sur le rapport des Amish à la technique, dans un chapitre de son livre Technologies partout, démocratie nulle part, met en exergue au sein de cette communauté, la qualité suivante: avant d’introduire une nouvelle technique dans leur société, ils organisent une délibération pour estimer ses effets sur leur mode de vie, je reste coi comme mes élèves, l’autre matin.
Monsieur le Résident Zacron, quand vous emploiyez des mots, quand vous voulez en faire autant de flash ball, de grenades de désencerclement ou d’ironie, quand vous voulez faire le « beau », vérifiez vos sources, documentez-vous, jetez un coup d’oeil sur un bon vieux BT de derrière les fagots, mettez vos pieds dans dans la boue, marchez dans les sillons d’un lopin de terre loir-et-chérien, allez pêcher des ablettes et écoutez un tant soit peu le vent qui file dans les haies, qui soulève une nuée de rouge ou de vert-gorges. Et tournez votre langue de bois, sept fois dqns votre bouche, avant de pérorer.
Monsieur le Résident Zacron,Je pense que vous êtes « franc comme un âne qui recule », comme on dit par ici.
Tout en me préparant une bolée de cidre bio, après une triple écoute de la chanson citée plus haut, j’exhume d’un carton une VHS, celle du film « Witness » où un inspecteur enquête sur un meurtre dont le seul témoin est un jeune garçon membre de la communauté des Amish.
Avant de visionner ce thriller romantico-policier, je porte un triple toast à Michel Delpech.
Ziteq le 20 septembre 2020